NAISSANCE D’UN TERRITOIRE
La France de 1964 est un pays bercé par une douce insouciance.
Depuis peu, l’Hexagone vient de sortir du douloureux épisode
de la Guerre D’Algérie qui aura quand même coûté la vie à plus de 30 000 appelés ou engagés et ramener vers la métropole un peu moins d’un million de pieds-noirs pas forcément les bienvenus
dans un pays qui n’est le leur que de façon lointaine.
Elle marque aussi l’apogée du Baby-boom, né au lendemain ’un conflit mondial qui avait dévasté l’Europe et une partie du Monde.
Les « trente glorieuses » économiques et sociales battent leur plein. Les taux de croissance à plus de 5 %, un chômage inexistant (moins de 400 000 chômeurs), la découverte des biens de consommation, l’allongement de la scolarité et la possibilité de progresser socialement.
C’est l’époque du Commissariat Général au Plan : des plans quinquennaux destinés à financer les grands
travaux et autres infrastructures de notre cher et vieux pays….
On fait appel à une main-d’œuvre étrangère abondante et bon marché pour construire nos autoroutes, nos immeubles ou nos établissements
scolaires et sportifs….
Bref des temps anciens que l’on serait tenté de revisiter avec nostalgie. Mais on sait toujours que l’adage « c’était mieux avant » est toujours à nuancer car pas forcément mieux mais simplement différent….
La France Gaullienne (le Général est revenu au pouvoir en 1958 et s’apprête à organiser cette fois
ci son éventuelle réélection au suffrage universel pour 1965. Son Premier Ministre depuis 1962 est Georges Pompidou et il le restera jusqu’en …1968
(Un record de longévité à ce jour).
Une époque qui sera riche en évènements : notre gouvernement reconnait la Chine Communiste de Mao. Jean Paul Sartre refuse le Prix Nobel de Littérature, le continent Africain, en grande partie libéré du joug colonial, connait de gros soubresauts : au Kenya, en Rhodésie, au Mozambique ou au Gabon avec des tentatives de coups d’état ou de sécession au cœur de la couronne britannique ou de la dictature Salazariste.
L’Office de Radiotélévision Française (ORTF) voit le jour. Une nouvelle chaîne de télévision voit d’ailleurs le jour mais n’émet que de façon épisodique. Il y a trois stations de radio publique : France Inter, Culture et Musique sans oublier les radios périphériques (Europe n°1, Radio Luxembourg et Radio-Monte Carlo)…
Lyndon Johnson est élu Président des Etats Unis et s’apprête à déclencher la nouvelle guerre du Vietnam pour affronter de façon indirecte son adversaire Soviétique, Nikita Khroutchev.
Pendant ce temps, La France est donc devenue un vaste chantier. Ne parlons pas de l’Ile de France, menacée par une hypertrophie démographique si les flux ne sont pas plus maitrisés. C’est ce à quoi travaille la Commission Delouvrier depuis 1961.
Début 1964, une rumeur persistante affirme que la Seine et Oise sera morcelée en plusieurs nouveaux départements ce qui va se concrétiser avec le décret du 10 juillet qui voit Paris devenir
un Département, le reste de la Seine étant coupé en trois départements : les Hauts de Seine, la Seine Saint Denis et le Val de Marne.
Ce que l’on appelle la Grande Couronne (la Seine et Oise) est coupée en trois
: au nord, le Val d’Oise, à l’Ouest : les Yvelines et au Sud : L’Essonne.
Comme nous l’avons déjà évoqué, l’immense Seine et Marne demeurera inchangée mais va cependant connaitre un essor semblable à ses voisines….
Jusqu’à cette période, la France n’a que 90 départements métropolitains : de l’Ain au Territoire de Belfort. La création de ses nouveaux départements donna a présent 95 numérotations. Paris reprend le numéro 75, la Seine et Marne reste le 77, et les Yvelines reprend le 78 de la Seine et Oise. Les autres reprennent les anciennes numérations des départements algériens : 91, 92, 93, 94, 95…
L’Essonne (91) qui tire son nom d’une rivière qui la traverse, prenant sa source au nord du département
du Loiret et devenant un affluent de la Seine à Corbeil-Essonnes.
Les confusions avec Essonnes, l’ancienne commune rattaché à Corbeil prêteront longtemps à confusion.
Dans le
décret, le nouveau département qui compte 1800 km2 est une émanation des arrondissements de Palaiseau (créé pour rappel en 1962), celui de Corbeil-Essonnes et pour partie également de celui de Rambouillet (Dourdan,
Etampes).
Le chef-lieu (provisoire) est fixé à Corbeil-Essonnes avec comme sous-préfecture : Palaiseau.
Le futur département, comme tous les autres, restera soumis à une période de mise en place administrative
jusqu’au 1 er janvier 1968.
Ce territoire à la taille modeste par rapport à la moyenne nationale présente la particularité de présenter deux visages bien différents : un tiers nord déjà urbanisé ou en passe de l’être et un grand sud, plus éloigné de Paris et à la physionomie rurale (ce constat n’a pas changé depuis).
Il abrite 197 communes (dont deux rejoindront en 1969, le département des Yvelines : Toussus le Noble et Châteaufort, compensé par la création de celle des Ulis en 1977, pour donner suite à son détachement de Bures sur Yvette et Orsay).
Mais le choix du chef-lieu n’est pas complètement arrêté : on parle de Brétigny sur Orge, idéalement situé au centre du département et possédant de
nombreux espaces vierges), d’Etampes, mais la cité Royale, encore très provinciale est trop éloignée de Paris.
Corbeil-Essonnes tient donc la corde, alors chef-lieu d’arrondissement de 25 000 habitants avec ses
bâtiments administratifs existants : la sous-préfecture, le tribunal, la chambre de commerce mais avec un territoire déjà très urbanisé et peu propice au développement de nouvelles infrastructures administratives.
En plus, la ville est dirigée depuis 1959 par le Communiste Roger Combrisson, chef de district à la SNCF.
Georges Pompidou et Delouvrier survolent en Hélicoptère la région de Corbeil et notamment son immédiate périphérie : Evry-Petit-Bourg.
Evry-Petit-Bourg, commune de cinq mille habitants a déjà amorcé une urbanisation notable avec Le parc de Petit-Bourg avec son fameux « building » dès 1958 et la toute récente résidence du « Bonhomme en Pierre » garde toutefois une physionomie rurale indéniable.
Un site idéal pour y établir une ville nouvelle et surtout le chef-lieu du nouveau département. Deux éléments positifs plaident en sa faveur : la municipalité est dirigée par un Gaulliste, Michel Boscher et l’ensemble des terrains appartiennent à un seul et unique propriétaire, le Comte Hubert Pastré.
Ce dernier est issu d’une famille de riches armateurs Marseillais mais dont l’implantation à Evry remonte au courant du XIX e siècle, ayant même donné deux maires très estimés à la commune durant la première moitié du XXe.
Mais Hubert Pastré ne jouit pas de la même sympathie que ses aïeux, ce banquier et propriétaire terrien est un personnage d’un conservatisme extraordinaire, dixit Boscher.
Avant-guerre, il fut impliqué dans « l’affaire des Cagoulards », cette organisation terroriste d’extrême droite qui menaçait de « renverser » la République, le Chatelain d’Evry Petit Bourg fut accusé d’être un des bailleurs de fonds de l’organisation dirigé par le Polytechnicien Deloncle et d’abriter des caches d’armes au sein de son château des Tourelles mais il fut innocenté.
Sous l’occupation, il fait partie de la délégation municipale désignée par le régime de Vichy. On le soupçonnera de collaboration avec l’ennemi Allemand mais échappera à toute condamnation lors de l’épuration, il s’exile cependant sur les bords du Lac de Genève ou il mourra en 1995.
Ses relations avec Michel Boscher, Député-Maire d’Evry Petit Bourg et ancien déporté étaient très mauvaises et l’ancien Châtelain ne lui facilitera pas la tâche par la suite pour l’acquisition des terrains…
Entre temps, Roger Frey, ministre de l’intérieur annonce à Boscher que sa commune va devenir Chef-lieu du Département de l’Essonne et qu’une ville nouvelle va y voir le jour, ce qui ne réjouit pas l’élu car ce type de mutation sont souvent périlleuses pour les acteurs locaux car elle entraine des bouleversements d’ordre sociologique et électoral indéniable.
Loin des brainstormings parisiens, cette parenthèse enchantée que constituèrent « les Trente Glorieuses » connait ses foyers de contestation : à Etampes est organisée une manifestation d’agriculteurs inquiets sur leur avenir (et ce, avant la politique agricole commune instituée en 1966), d’autres manifestent contre l’instauration d’un péage sur l’autoroute A10 à Dourdan….
La préfecture provisoire du département est installée rue Lafayette à Corbeil-Essonnes et son premier occupant délégué est Christian Orsetti, qui d’ailleurs le sera d’ailleurs à deux reprises...jusqu’en 1969, date de la nomination de Michel Aurillac….
Le département de Seine et Oise subsiste donc pour encore 4 ans mais le démarrage du passage de témoin est lancé… Une aventure qui ne sera pas toujours un fleuve tranquille…