• Yves Mourousi et Jean Pierre Pernaut

  • Marie-Laure Augry et Yves Mourousi

MOUROUSI PERNAUT/LE JOUR ET LA NUIT:

Mercredi 8 avril 1998, 13 heures de TF1, le présentateur Jean-Pierre Pernaut, 48 ans annonce avec une voix marquée par l’émotion le décès de son prédécesseur : Yves Mourousi, 55 ans, terrassé par une crise cardiaque.  Fin brutale d’une certaine conception du journalisme.

Certains pourront s’étonner d’une éventuelle proximité entre l’actuel et l’ancien présentateur du journal le plus regardé de France tant le style et l’approche de l’actualité semblent aux antipodes….

Pourtant, les deux hommes si différents soient-ils arrivés en même temps sur la première chaîne de télévision alors publique lors de la réforme de l’audio-visuel qui sonna le glas non du monopole mais de l’ORTF, c’était en janvier 1975.

Yves Mourousi, 33 ans à l’époque est alors un transfuge de France Inter où il avait débuté en 1966. Doté d’un culot incroyable, d’une aisance à l’antenne qui diverge du ton parfois académique qui planait sur l’audio-visuel public, certes un « peu » détaché des diktats du pouvoir mais beaucoup moins persifleurs que ses concurrentes périphériques (RTL, Europe N°1), le jeune journaliste s’est rapidement imposé en devenant le présentateur vedette de « Inter-Actualités Magazine » où il lance pour la première son fameux « bonjour » !

Mourousi constitue alors une des forces de frappe de l’actualité sur TF1 sur le créneau porteur qu’est le 13 heures. Le 20 heures sera quant à lui confié à son ancien collègue de France Inter (et directeur de l’info) : Roger Gicquel…. Le duo gagnant en matière d’innovation et d’audimat, même si ce vocable est inconnu à l’époque….

Jena Pierre Pernaut, 25 ans à l’époque a un parcours différent :  issu de la petite bourgeoisie Picarde, il fait des études à la prestigieuse Ecole de Journalisme de Lille puis fait ses premières armes dans la PQR (Presse Quotidienne Régionale) au « Courrier Picard » avant d’intégrer les bureaux régionaux de l’ORTF à Amiens.

Enfin, il arrive à Paris en 1975 où il va présenter les journaux du soir, avant de Co-présenter le JT avec Yves Mourousi jusqu’à ce que celui-ci forme un binôme solide avec Marie Laure Augry entre 1981 et leur départ mutuel en 1988….

Lors de l’hommage posthume à son ex binôme, Jean Pierre Pernaut confiera aux téléspectateurs qu’Yves Mourousi lui a presque tout appris. S’il a acquis les fondamentaux du métier lui permettant de « durer » depuis plus de 30 ans, l’approche demeurera totalement différente.

Mourousi, c’était « l’art et la manière » d’innover en permanence, de sortir un journal « guindé » de son carcan afin de l’exporter vers « où l’info se passe » : on se souvient du direct de la Place Rouge à Moscou, à bord d’un Porte-Avion, sur la Place Tien-An Men à Pékin, etc….

En 1975, le journaliste n’hésite pas non plus à contacter Valéry Giscard d’Estaing pour lui demander de faire arriver la dernière étape du Tour de France sur les Champs Elysées. Son vœu sera exaucé et même pérennisé, comme chacun sait…

Mourousi c’est également un homme de réseaux, des réseaux qu’il peut cultiver lors de ses (nombreuses) virées nocturnes au cœur d’un Tout-Paris parfois interlope mais il reste un journaliste 24 heures sur 24, c’était déjà le cas dans les années 70 où il se faisait l’échotier des folles nuits parisiennes dans le « Pop club » de José Inter, émission-culte de France-Inter.

« Mourousi, il arrivait parfois cinq minutes avant de prendre l’antenne du JT sans avoir rien préparé, c’est durant la nuit qu’il « concoctait » son journal » confie Jean-Pierre Pernaut.

Présent dans beaucoup de fronts :  il lance la fête du livre aux Tuileries, il devient le porte-parole des « motards en colère ». Il fait le « buzz » avant l’heure tout en gardant une part de « mystère » sur sa vie privée, ce qui serait de nos jours impossible….

Le journaliste cultive sa « différence » il finit cependant par convoler en justes noces avec Véronique d’Alançon, une jeune femme avec laquelle il aura une fille Sophie. Son mariage très médiatisé et un peu mégalomaniaque sera d’ailleurs raillé par Coluche et Thierry Le Luron, autres « oiseaux de nuit » malheureusement victimes d’un destin tragique….

Yves Mourousi continue d’être l’homme des « coups médiatiques » teintés souvent de provocations qui font grincer les dents : « les lunettes noires du Général Jaruzelski » son traditionnel « Bonjour » traduit en Polonais, ou encore travesti en « Rocker », son interview décalée avec François Mitterrand (dans laquelle ce dernier joue le jeu avec son interlocuteur)  ou encore l’apothéose qui le précipitera vers la sortie du Jt « le casque de chantier », symbole de la maison Bouygues qui a racheté TF1 en 1987.

Mais c’est également son duo improbable (au départ) avec Marie-Laure Augry qui restent surtout dans les mémoires. En effet, tout semblait séparer au départ la discrète journaliste Tourangelle et le bouillonnant et indiscipliné Mourousi. Certains ont pu y voir initialement un « faire-valoir » dans les binômes de présentateurs, idée venue d’Outre-Atlantique comme beaucoup d’autres. Mais progressivement, Marie-Laure Augry prend du galon et devient au fil du temps la complice et surtout l’égale de son partenaire jusqu’à ce que le couple ne devienne fusionnel.

Leur journal dure presqu’une heure, outre une actualité nationale et internationale fournie, la couverture culturelle occupe une place prépondérante. Autre temps….

Marie-Laure Augry participera aux « excentricités » et autres « provocations » de son binôme. Finalement le couperet tombera pour les deux acolytes en 1988 qui seront remplacés par une seule tête : leur ancien compagnon de route : Jean Pierre Pernaut !

Nourri au biberon de l’audiovisuel public (même s’il rejoindra par la suite RMC et Canal Plus), Yves Mourousi n’a pas digéré la « privatisation de TF1 » dont il craint les dérives qui s’avèreront justifiées (programmes commerciaux, émissions racoleuses, absence de pages culturelles).

 

Jean-Pierre Pernaut arrive donc seul aux manettes du JT de 13 ans, c’est la consécration. A 38 ans, « JPP » voit ses efforts récompensés après 13 ans de bons et loyaux services sur la Première chaîne. Lui-même pur produit de l’audio-visuel public, il va cependant accepter les nouvelles « règles » du privé qui ont son avantage : un salaire confortable qui correspond généralement au double de celui proposé dans le « public » mais avec aussi son inconvénient : la carrière doit être en adéquation avec une audience toujours plus forte….

Depuis la « marchandisation » des « stars » de la télévision importée en France par Silvio Berlusconi, créant un « mercato » comme au Football, l’inflation des salaires va bon train. Hier, on parlait de « vedette » du petit écran (Léon Zitrone, Georges de Caunes, Pierre Tchernia, etc. …) aujourd’hui on les compare aux stars capricieuses de Hollywood. Mais on a pu constater que l’arrivée massive de capitaux pour développer des télévisions privées n’est pas toujours synonyme de succès d’audience : on se rappelle la « déroute » de la 5, chaîne dans laquelle bon nombre de journalistes et présentateurs s’étaient précipité, attirés par l’appât du gain et qui connurent par la suite des lendemains difficiles….

Jean-Pierre Pernaut n’est pas une « star » quand il arrive au 13 heures, c’est juste un « journaliste maison qui a accepté les nouvelles règles du jeu », spécialisé dans les pages économiques, il va d’ailleurs présenter parallèlement au JT, l’émission « Combien ça coute » produite par Christophe Dechavanne.

Perçu au départ comme un « remplaçant » provisoire, il va cependant s’imposer lentement mais surement jusqu’à devenir incontournable. Le mérite des nouveaux propriétaires de TF1 est de s’entourer de professionnels de la communication car les rois du BTP doivent eux-mêmes apprendre leur nouveau métier.

 Des journalistes maison comme Anne Sinclair, vedette du très populaire magazine dominical « Sept sur Sept » sur la Chaine ou l’arrivée de Patrick Poivre d’Arvor au JT de 20 heures, également un pur produit de l’audio-visuel public (sur France Inter où il débute puis Antenne 2 où il arrive à prendre le leadership du 20 heures après le départ volontaire de Roger Gicquel du JT de TF1) veut la jouer « gagnant » avec un goût inné du « challenge » comme disait feu Francis Bouygues, alors nouveau propriétaire.

Christine Ockrent, ex binôme et rivale de PPDA arrive également sur la chaîne tout comme Michèle Cotta, ancienne journaliste à l’Express et par la suite patronne de Radio-France et du CSA …. Mais elles ne resteront pas très longtemps, juste le temps de « lancer » le nouveau TF1.

Le nouveau patron, Patrick Le Lay, ingénieur du BTP est un béotien en matière d’audiovisuel, il met à la tête de l’info, Etienne Mougeotte, déjà vieux routier de l’information, formé à l’ORTF et ayant roulé sa bosse dans différentes radios qu’elles soient publiques ou privées….

Robert Namias, issu d’Europe 1 et qui coprésentait déjà sur la chaîne avec son épouse Anne Barrère « Santé à la Une » lui succèdera, instaurant une stabilité infaillible : pas de bouleversements, de changement de têtes trop fréquents à contrario de sa rivale France 2 connue pour la valse de ses directeurs, de ses présentateurs (excepté Pujadas, resté 17 ans, un record) et ses motions de défiance….

En 1988, le paysage audiovisuel français, le fameux PAF n’est pas encore complètement « chamboulé » : il n’y a que six chaînes hertziennes dont une à péage. TF1 compte lancer son projet de télévision par satellite avec la participation des chaînes concurrentes : le futur TPS qui va concurrencer CANALSAT….

On est encore loin de l’éclosion des chaînes d’information, LCI, filiale de TF1 ne verra le jour qu’en 1994. Pour l’instant la première chaîne devenue commerciale doit renforcer sa régie publicitaire, étant à présent privée de la redevance audiovisuelle…

Pour attirer les annonceurs, il faut une audience qui ne faiblisse pas, d’où l’idée de lancer des émissions très « grand public ». C’est la condition sine qua none pour rester en tête des chaînes de télévision en France. Rapidement les émissions-phare de la chaîne vont disparaitre des écrans au profit de programmes plus racoleurs, l’impertinence n’étant plus de mise (« droit de réponse » de Michel Polac passe à la trappe, par exemple).

Chacun droit trouver un nouveau style, c’est le cas de Jean-Pierre Pernaut qui change complètement la ligne éditoriale du journal de 13 heures en y impulsant une forte dose d’informations nationales et surtout régionales, en n’accordant à l’international qu’un volet limité….

En une décennie, son journal va devenir celui des « régions », de cette France « oubliée », une sorte de FR3 mais avec de l’audience. Et ça marche, le « remplaçant » devient le « titulaire » qui parle à plus de six millions de téléspectateurs chaque midi, se faisant leur porte-parole incontournable.

C’est indéniablement la « force de frappe » de TF1 : une équipe rodée solide à tous les créneaux porteurs pour servir la messe télévisuelle : à 13 heures : Pernaut, à 20 heures : Poivre d’Arvor et le Week-End : Claire Chazal. Cette dernière est également une transfuge d’Antenne 2, après un passage dans la presse écrite, dont « le Quotidien de Paris » où cette diplômée d’HEC était en charge des « pages économiques » ….

Quand Jean Pierre Pernaut rend un vibrant hommage à son « maitre » Mourousi en 1998, il a déjà dix ans de JT derrière lui, il ignore alors qu’il deviendra le « recordman » vingt ans plus tard. A l’âge ou d’autres prennent une retraite confortable, le « Walter Cronkite » français, joue à 68 ans les prolongations comme ce fut le cas pour le journaliste vedette de CBS ….

Mais le temps qui passe n’est pas toujours un long fleuve tranquille. Raillé par ses « confrères » qui dénonce un « journalisme bas de gamme, souvent partisan », notre homme continue de faire son petit bonhomme de chemin. On ne change pas une équipe qui gagne même si elle prend de l’âge…

Après tout, Jean Pierre Pernaut a trouvé sa voie : celle de la prudence et certainement du « trac » avant de prendre l’antenne. Les certitudes ne sont jamais bonnes dans ce métier, Patrick Poivre d’Arvor ou Claire Chazal, jugés indéboulonnables ont pourtant été poussés vers la sortie……

Comme quoi, les cimetières sont remplis de gens indispensables. Mais lui Pernaut, le « missionnaire » du 13 heures continue chaque midi son « prêche » en bafouillant parfois mais son homélie convient à une France profonde qu’il ne faut surtout pas mépriser...