L'INCLASSABLE MONSIEUR BORLOO
Mars 1989 : un homme de petite taille apparait sur le balcon de l’Hôtel de ville de Valenciennes. Il a 38 ans et il vient d’être élu triomphalement maire d’une ville sinistrée
du nord de la France : Valenciennes.
Il s’appelle Jean-Louis Borloo, c’est un avocat d’affaires parisien très prospère. On sait peu de choses sur lui sinon que son patronyme trouve ses racines dans la Belgique voisine.
D’autres le connaissent comme président du club de football local qu’il a sauvé d’une faillite imminente, ce qui explique peut-être les raisons de son succès électoral, certains encore savent qu’il a été l’avocat du très médiatique Bernard Tapie avec lequel il partagera certains points communs : président de club de football, député ou encore ministre de la ville…….
Le deuxième septennat Mitterrand avait démarré depuis l’an passé. Le président sortant avait été en effet sèchement battu son premier ministre de cohabitation, Jacques Chirac avec un peu de 55 % des suffrages mais les élections législatives qui vont suivre ne vont donner qu’une majorité relative au chef de l’Etat qui nomma à Matignon, son meilleur ennemi, Michel Rocard.
Ce dernier va composer un gouvernement « d’ouverture » mêlant socialistes, des personnages de la société civile, des radicaux de gauche et quelques centristes.
Les « centristes » en question
viennent essentiellement de l’UDF, l’ancienne machine électorale de Valéry Giscard d’Estaing, citons notamment Jean-Pierre Soisson, Olivier Stirn ou encore Jean Marie Rausch (qui ultérieurement rejoindront tous leur famille
politique d’origine, ndlr).
A l’époque, Jean Louis Borloo est loin de la sphère politique parisienne, l’essentiel de son action se porte sur sa ville d’adoption et sa région le Valenciennois dont il compte enrayer l’inexorable déclin économique qui sévit depuis le début des années 70.
Le nouveau maire de Valenciennes qui aurait pu se contenter de vivre à la sauce « blingbling » avec ses confortables honoraires d’avocat d’affaires mais il a le contact facile avec ses électeurs, avec un don d’empathie très prononcé envers une population qui vit à des « années-lumière » de son quotidien.
Valenciennes était naguère surnommée « L’Athènes du Nord », mais la sous-préfecture du département
septentrional a donc subi de plein fouet la crise économique de 1974 provoquant une désindustrialisation brutale engendrant un chômage de masse accompagné d’une progression de la paupérisation dans une grande partie
de la population.
La région souffre également d’un manque criant d’infrastructures (comme par exemple : 40 % des habitants de Valenciennes n’ont pas le tout à l’égout…), pas d’établissements
culturels, des quartiers de non droit avec des tours ou autres barres d’immeubles devenues le symbole d’une urbanisation hâtive.
L’avocat d’affaires parisien ne va pas ménager ses efforts pour changer en une génération ce portrait peu flatteur de la cité nordique et les électeurs vont le lui rendre en le réélisant sans interruption jusqu’à sa démission en 2014 pour raison de santé.
Il inaugure à Valenciennes ce qui demeurera jusqu’à aujourd’hui son cheval de bataille : une audacieuse politique de la ville qui consiste repenser le cadre urbain : les tours et barres sont remplacées par des habitations ne dépassant trois étages. Il relance également la construction d’équipements culturels et sportifs. Enfin, l’arrivée du Tramway va permettre de relier les quartiers défavorisés au centre-ville en quelques minutes….
Il relance l’activité économique dans les quartiers difficiles : avec une politique d’insertion efficace. Ultérieurement, l’arrivée du géant Toyota, générateur de nombreux emplois va provoquer un nouveau souffle dont la région bénéficie toujours. Même si le taux de chômage (14%) reste plus élevé que la moyenne nationale, le marasme économique n’est plus qu’un lointain souvenir…
L’apolitisme des débuts va faire place à un « centrisme ouvert », ce que l’on appelle généralement « le centre droit », le maire de Valenciennes participe à la campagne des élections européennes en intégrant la liste UDF de Simone Veil.
Egalement sensible aux questions environnementales, il participe en 1990 à la création de « Génération Ecologie » co-fondé avec Noel Mamère, ancien présentateur du journal télévisé et futur député-maire de Bègles et Brice Lalonde, infatigable militant écologique et futur ministre.
Il sera député du Nord entre 1993 et 2014 et devient ministre de la Ville (1 er gouvernement Raffarin) lors du retour de la Droite
au pouvoir en 2002. Il semble avoir « carte blanche » pour mener une ambitieuse politique de la ville mais cette fois ci au niveau national : il créé alors l’ANRU (Agence Nationale pour la Rénovation Urbaine) qui a pour
mission de désenclaver les quartiers difficiles du reste des agglomérations en restructurant l’habitat de proximité et en créant des zones franches notamment.
Cette politique ambitieuse va coûter 46 milliards d’euros
étalés sur une décennie mais va porter ses fruits du moins en partie.
En 2004, le bouillonnant Borloo prend le portefeuille de l’emploi (deuxième gouvernement Raffarin) et connaîtra un bilan plutôt flatteur avec une baisse significative du chômage (7,7% de la population active).
Avec la victoire de Nicolas Sarkozy en 2007, il prend le portefeuille de l’Ecologie et mettra en place le fameux « Grenelle de l’environnement » qui constituera une sorte de mini-révolution écologique même si la suite des évènements laisse apparaître une impression mitigée quant à son efficacité….
Il quitte le gouvernement en 2010 avec un gros regret : celui de ne pas avoir accédé à L’Hôtel Matignon. François Fillion malgré des relations tendues avec Nicolas Sarkozy restera en poste jusqu’à la défaite de 2012. La nomination de cet éternel « électron libre » aurait-elle pu changer la Donne ?
Il créé au passage l’UDI, une forme
de réssurection de l’UDF, évanouie dans les courants incertains du Modem et surtout de l’UMP.
Il présidera le mouvement jusqu’à son « abandon » de la vie politique en 2014 à la suite
sérieux problèmes de santé (une pneumonie aggravée) , provoquant d’ailleurs une guerre de succession entre Hervé Morin et Jean-Christophe Lagarde….
Après sa longue convalescence, Jean Louis Borloo
se passionne un temps pour le développement des pays Africains avant de revenir dans l’actualité politique en 2017 lorsqu’il se rapproche d’Emmanuel Macron, pour lequel il appelle à voter afin d’éviter à
la France une « catastrophe » (le vote en faveur des extrêmes).
Après l’élection du plus jeune président que la France ait connue (39 ans) certains observateurs pronostiquent
que le « Zorro » de Valenciennes, âgé de 66 ans va revenir au-devant de la scène politique en intégrant le futur gouvernement.
Pas de maroquin pour l’ancien ministre mais la commande d’un rapport
sur une nouvelle politique de la ville, notamment dans les quartiers difficiles. Retour aux sources en somme. Notre homme se remet au travail, consulte de nombreux élus et arrive à rédiger une copieuse synthèse avec un nombre important
de solutions.
L’appel au secours du maire communiste de Grigny ou le découragement d’un Stéphane Gattignon, élu de Sevran auront été quelque peu les éléments déclencheurs d’un tel
rapport et qui aura le mérité de faire la quasi-unanimité des élus concernés. Mais pas du pouvoir en place, qui juge l’ensemble des mesures certes intéressantes mais génératrices de coûts
importants : 48 milliards et pour quels résultats finalement ?
Si Emmanuel Macron salue le travail effectué, on sent bien que « l’ouvrage » sera rangé au placard.
Le plan de rénovation
urbaine de 2002 avait coûté la même chose et en ces périodes de réductions des dépenses publiques, le pari serait trop risqué….
Ainsi va la vie, les rapports restent
des « pistes » de travail pour un exécutif confronté aux dures réalités des contraintes économiques du moment, ou le court-termisme réaliste ne peut que tourner le dos à la prospective teintée
d’une douce utopie.
On peut certainement deviner un peu d’amertume chez un esprit bouillonnant habitué à faire bouger les lignes depuis plusieurs décennies, certainement un peu Macron avant l’heure en matière
de décrispation de la vie politique….
Mais notre électron a certainement encore beaucoup de cartes à jouer, lui qui a connu plusieurs vies, beaucoup de réussites et parfois des échecs…. Cela fait partie des choses de la vie….
Publié le 28/05/18