LA BATAILLE D'ALGER (EDITO DU 4 MARS)
« Dégage » : c’est le slogan bien connu jailli lors du printemps Arabe et que la jeunesse algérienne a repris à son compte pour dire « non » à un cinquième mandat de son président sortant : Abdelaziz Bouteflika, à la « tête du pays » depuis 1999 et qui compte bien rempiler malgré un état de santé très alarmant….
A 82 ans, le dirigeant du pays le plus vaste d’Afrique n’est en effet plus qu’un vieillard en chaise roulante, de surcroit quasi-muet suite à un violent AVC en 2013 et qui n’est pratiquement plus apparu en public depuis….
Cette énième candidature est certainement celle de trop. La piètre image que renvoie le vieillard impotent, véritable marionnette d’un régime autoritaire mais a bout de souffle a fini par exaspérer une population, dont la jeunesse qui représente plus de 70 % d’entre elle et qui ne supporte plus de voir son pays se transformer en « risée » parmi les chancelleries du monde entier sur ce pathétique pouvoir sous perfusion….
Outre la personne de Bouteflika, dont le parcours politique a commencé dès l’indépendance en 1962 où il officiait déjà comme ministre à 25 ans, survivant à tous les régimes : Ben Bella qu’il contribuera à faire renverser par son ami e maitre Boumediene, puis Chadli avant de connaitre une Eclipse suite à un scandale financier qui l’avait éclaboussé pour mieux revenir sous l’ère Zeroual et apparaitre finalement comme le « rempart solide » après la terrible guerre civile dont l’origine remontait à l’arrêt brutal du processus démocratique imposé par le FLN par crainte d’ « Islamisation massive » du pays….
Mais ce petit homme polyglotte et jovial n’a pas fait longtemps illusion et a fait plonger son pays dans encore plus de clientélisme et de corruption qui le gangrène toujours plus…. Une opposition existante rendue possible par le pluralisme mais trop divisée n’a pas pu servir de contre-pouvoir et la sempiternelle crainte du danger islamiste ont laissé un boulevard au pouvoir en place….
Pays très riche, de par ses ressources pétrolifères et gazières, l’Algérie comme le Venezuela n’a pas su en tirer profit et malgré des tentatives de libéralisme de son économie continue de faire voguer l’idéal révolutionnaire de ses débuts mais qui a bu la tasse depuis bien longtemps provoquant un chômage endémique notamment chez les jeunes……
Alors pourquoi persister et ne pas ouvrir le pays vers un véritable processus démocratique ? Pas seulement à cause des craintes d’une oligarchie corrompue et accrochée à ses privilèges mais certainement au titre bilan du « printemps arabe » qui de rédemption s’est transformé en « retour à la case départ » : en Egypte, le vieux Moubarak finalement remplacé par un Maréchal Sissi bien plus autoritaire que lui ou en Tunisie, où la disgrâce de Ben Ali n’a pas permis au pouvoir en place, certes plus démocratique de sortir du marasme économique….
Comme tous les gérontocrates, Bouteflika (ou plutôt son entourage qui tient les ficelles) a maintenu sa candidature mais en promettant une élection anticipée dans laquelle il ne serait pas…candidat. On comprend qu’il n’a pas réussi à calmer la colère de la foule qui n’y croit plus et qui ne cesse de défiler dans les rues depuis plusieurs jours….
L’issue de cette crise reste des plus incertaines, les pays occidentaux restent muets, dont la France, l’ancienne puissance coloniale souvent accusée de tous les maux qui minent l’Algérie, porteuse de « feux mal éteints » depuis 1962 mais qui a quand même eu le temps de prendre son destin en main depuis…Mais il est évident qu’un jeune maquisard FLN de 20 ans qui s’appelait Bouteflika ne peut pas comprendre les doléances d’une génération qui a bien décidé de ranger l’idéal révolutionnaire aux archives comme son vieux président…..
LA NUIT DES MORTS VIVANTS (EDITO DU 12/03)
II a renoncé à un cinquième mandat sous la pression de la rue, provoquant un ouragan de joie notamment chez la jeunesse qui était montée en première ligne pour dire « non » à la volonté d’Abdelaziz Bouteflika de rester au pouvoir afin d’éviter selon lui (ou plutôt son entourage) le chaos….
Mais la joie et la folle espérance sont vite retombées comme un soufflé, le vieux leader Algérien, de retour de Suisse, a bien accepté de se retirer mais en a profité pour reporter « sine die » les élections prévues en avril prochain….
Comprenne qui pourra : je quitte la scène politique mais je ne vous dis pas quand, provoquant de facto l’inquiétude puis la colère des manifestants qui ont déterminé de poursuivre le combat contre celui qu’il pensait être un vieillard hagard mais qui reste un gérontocrate rusé comme un renard… On ne se débarrasse pas aussi facilement des bijoux de famille, d’un système verrouillé par un clan, d’une famille qui n’a pas vraiment l’intention de renoncer à l’ivresse du pouvoir.
Ce n’est pas un cas isolé, que ce soit dans des régimes dits démocratiques mais autoritaires , comme le Gabon, où le clan Bongo se partage le pouvoir de façon dynastique, au Cameroun ou Paul Biya joue à 86 ans les prolongations en modifiant la constitution afin de s’accrocher au pouvoir comme une huitre sur son rocher insensible aux clapotis répétés de l’océan pour l’en chasser ou dans des régimes dictatoriaux comme Cuba ou les frères Castro se sont transmis le flambeau pour le donner ensuite à un proche sous des faux airs d’ouverture…..
On pourrait encore citer de nombreux autres cas ou bien se rappeler ce fameux ouvrage paru en 1976 « ces malades qui nous gouvernent » qui mettait en lumière cette fameuse addiction au pouvoir de certains dirigeants parfois au bord de l’agonie mais qui trouvent dans leur maintien au sommet une forme de thérapie illusoire : un pouvoir sous perfusion quitte à faire des erreurs stratégiques et finalement c’est le peuple qui en subit in fine les conséquences…
L'ARME A GAUCHE (EDITO DU 19 MARS)
On se demandait ce que devenait le Parti Socialiste devenu invisible depuis les défaites de 2017 : on vient d’avoir la réponse : prétendu léthargique, il bouge encore quelques membres et tente de revenir au premier plan en nommant sa tête de liste aux élections européennes de juin….
Problème pour certains : cette tête de liste n’est pas issue des rangs du Parti de la Rose, mais d’une toute nouvelle formation a peine portée sur les fonts baptismaux : « Place Publique », il s’appelle Raphael Glucksmann et était jusqu’à présent connu comme essayiste et journaliste de presse écrite et parlée.
Quelle mouche a donc piqué Olivier Faure, discret « patron » d’un parti socialiste qui est passé de parti présidentiel pilier de l’ancienne majorité à petite formation à l’avenir incertain ? : la réponse est dans la question. Mais ce choix insolite certes approuvé par le bureau politique n’est pas du goût de tout le monde : en effet les détracteurs craignent purement et simplement la confusion des genres : on sait que les acteurs de la société civile ne font jamais bon ménage avec les appareils politiques traditionnels….
La crainte de l’ancien parti de François Mitterrand est de ne pas descendre au-dessous de la barre fatale des 5 % synonyme de non représentation à Strasbourg à l’instar de l’ancien partenaire Communiste ou d’autres micro-partis issus d’un divorce avec ces deux formations….
Raphael Glucksmann, personnage devenu médiatique, fils d’André, auteur des « maitres penseurs », qui participa à de nombreuses aventures intellectuelles des années 60 à son décès en 2015 : « les nouveaux philosophes", « les bateaux pour l’espoir » lorsqu’ il réussit à réconcilier ces deux glorieux ainés de « normale sup » : Sartre et Aron, mais dont certains esprits sarcastiques railleront son cheminement politique : « le maoïste » du printemps 68 a fini soutenir Nicolas Sarkozy en 2007….
Le fils est lui-même un temps séduit par l’ancien président, il publie d’ailleurs avec son géniteur « mai 68 expliqué à Nicolas Sarkozy » puis s’en éloigne pour mener d’autres aventures vers la Géorgie où il devient le conseiller du président Saakachvili et épouse la future ministre Eka Zgouladze. Il revient en France ou il se lance dans le journalisme aussi bien écrit que parlé, notamment sur France Inter où il affronte chaque dimanche Natacha Polony.
Mais la fibre politique ne tarde pas à le tenailler, il lance un mouvement associatif d’idées susceptible de rassembler les forces de gauche, dont Europe Ecologie, le PCF ou encore le mouvement Géneration-s de Benoit Hamon mais la tentative d’union ne se réalise pas peut-être par méfiance envers cet ancien rallié au Macronisme triomphant ? C’est alors qu’une entente va se sceller avec l’ancien parti de la rue de Solférino…
C’est toujours sur France Inter qu’il annonce son intention de briguer un mandat européen, ce qui va obliger sa nouvelle compagne, Lea Salamé, star de la matinale de la station de se mettre en retrait….
Il est clair que « Gluscks » junior est en train de réussir son OPA sur un parti socialiste moribond qui espère bien rebondir sous forme de « congrès d’Epinay version XXIe siècle », certains ralliements récents peuvent l’encourager dans ce sens pour redonner quelques couleurs à une gauche gangrénée par l’éparpillement de ses brebis égarées…Mais avant de pouvoir regrouper le troupeau, la transhumance risque d’être longue……
CUL DE SAC (EDITO DU 29 MARS)
Nous sommes le 29 mars 2019. Une date choisie il y a plus de trois ans pour constituer le dernier jour du Royaume-Uni au sein de l’Union Européenne après quarante-six d’un mariage jugé souvent houleux….
Trois ans donc depuis qu’un jour de 2016, les électeurs britanniques ont choisi par voie référendaire et par une courte majorité de sortir d’une Europe pour laquelle, eux les insulaires ont si souvent été critiques…. La surprise aura été de taille du côté des partenaires européens qui ont ressenti ce rejet comme un véritable séisme mais également d’une partie de l’opinion d’Outre-Manche qui a pressenti qu’un scénario catastrophe pouvait dès lors émerger de ce coup de sang démocratique….
On sait généralement que lors des référendums, les électeurs ne répondent pas toujours pas à la question posée préférant plutôt faire un « vote d’humeur ». David Cameron, alors Premier Ministre avait lancé cette idée de consultation, titillé par une partie de sa majorité eurosceptique menée notamment par l’excentrique Boris Johnson mais qui ne croyait pas à l’émergence d’une telle issue….
Mais les artisans que l’on ne tardera pas à appeler « le Brexit » ont réussi une formidable campagne de désinformation concernant les méfaits d’un maintien du pays dans l’UE, gros contributeur mais avec un retour sur investissement très faible notamment pour des populations vivant en marge des zones de prospérité, un peu le « UK » périphérique, en bref l’équivalent de nos « territoires oubliés ». A contrario, le « Great London » aisé et Europhile, attaché à la libre circulation des biens et des personnes ou encore l’Ecosse, tentée par le séparatisme mais qui était restée au sein de la couronne britannique pour cause de garantie de maintien dans l’Europe constituaient le gros lot des « Remainers » ….
Après le départ d’un Cameron dépité, Theresa May, jugée comme pragmatique au sein des Tories lui a succédé et a entamé alors une interminable négociation avec l’UE pour réussir la sortie de son pays. D’abord « remainer » elle s’est transformée en « Brexiter », avec l’imprudence de clamer qu’en en cas de problème, il ne faudrait finalement « pas d’accord du tout qu’un mauvais accord » bien mal lui en a pris car une grande partie de la classe politique s’est braquée contre cette « nouvelle dame de fer » qui s’est même mise à dos une frange non négligeable de son propre parti….
Durant les deux dernières années et plus particulièrement les deux derniers moins alors que la « deadline » approchait dangereusement, la tension de plus en plus forte est montée au sein d’une classe politique plus divisée que jamais, en témoignent les plusieurs votes de rejet à la Chambre des Communes, de « l’accord de sortie de la dernière chance » âprement négocié entre Theresa May et Bruxelles. Bien que les principaux items des conditions du divorce aient été validés, le point noir concernant notamment la question de la frontière nord-irlandaise a plongé le pays dans une profonde discorde….
Désavouée voire humiliée, poussée vers la sortie, la Première Ministre a adopté une position bravache, réussit à prolonger de quelques semaines l’ultimatum fixé par Bruxelles mais se trouve déjà dans une forme de quadrature du cercle : ou bien se résigner à un « no deal » le pire des scenarii avec tous les risques économiques que cela comporte aussi bien pour le Royaume-Uni que pour ses partenaires européens ou bien rester dans une interminable période de dérive au cœur de l’Union pour peut-être finir par annuler le « Brexit », ce qui ferait dire à nos voisins d’Outre-Manche, complètement écœurés par ce mauvais feuilleton dont la fin se fait désirer : tout ça pour ça… Wait and See…