L’ARCHE DE NOE (EDITO DU 7 NOVEMBRE)
Depuis quelques semaines, on avait constaté une montée de la violence dans la ville. Cela faisait longtemps que l’on n’avait pas déploré des heurts entre la police et des jeunes dans ce que l’on appelle les « quartiers » avec son rituel immuable : embuscade, affrontement violent, feu de poubelles, agression des pompiers et des forces de l’ordre. Mais le Samedi 2 novembre, l’incendie qui a réduit en cendres l’Ecole du Cirque a provoqué autant de dégoût que d’indignation autant au niveau des habitants du quartier que des élus….
« L’Arche » c’était le nom qui avait été donné à cet édifice apprécié de la jeunesse, clin d’œil au quartier environnant « La Noé » dans lequel vit la majorité de la population de Chanteloup-les-Vignes, cette commune yvelinoise de 10 000 habitants, ancien village agricole jusque dans les années 60 et qui connut alors une croissance démographique sensible, avec l’arrivée de populations nouvelles, souvent issues de l’émigration et qui venaient travailler dans les usines automobiles environnantes..
Mais la crise et le chômage sont passés par là et Chanteloup-les-Vignes est devenu le symbole des « cités sensibles », avec la violence et l’insécurité comme lot quotidien, surnommé même « Chicago sur Seine », avec son quartier la Noé, pourtant conçu par un architecte humaniste, Emile Aillaud (à qui l’on doit également « la Grande Borne » à Grigny) a progressivement basculé en « zone de non droit ». En 1995, un film qui sera un grand succès public est réalisé au cœur de cette cité sensible, il s’agit de « La Haine ». Son auteur, Mathieu Kassovitz met en scène les mésaventures de trois jeunes délinquants du quartier, beaucoup des jeunes du quartier se reconnaitront dans ces protagonistes, même si l’acteur principal, plus vrai que nature est en fait le fils d’un acteur célèbre qui a grandi loin de ces banlieues en déshérence.
Le long métrage aura le mérite le mérite de réveiller les consciences sur le problème de ces quartiers dans lesquelles une sourde colère couve jusqu’à l’embrasement de 2005 qui atteint alors tout le territoire.
Pourtant la politique de la ville avait commencé son œuvre sous le septennat de François Mitterrand. Ce dernier ayant donné carte blanche à Bernard Tapie, gosse du Bourget devenu riche et dont la gouaille convaincante pouvait donner quelques lueurs d’espoirs à quelques « lascars » en repentance. Mais le véritable acteur de la rénovation urbaine, sera Jean-Louis Borloo qui avait été auparavant l’avocat du précédent et qui lança avec l’aval de Jacques Chirac, un vaste chantier de relooking de ces territoires perdus de la République…. Il lança donc son Agence de rénovation urbaine qui finit par porter ses fruits au sein de cette commune à « problèmes », aidé par le maire de l’époque, Pierre Cardo, personnage charismatique et ouvert au dialogue, dont la devise pourrait être « des paroles mais aussi des actes », transformant sa commune en véritable laboratoire social.
La politique de terrain a payé : on a constaté au fil des ans, une diminution sensible des logements sociaux, un développement des services sociaux et des commerces, une diminution du chômage et surtout une baisse notable de la délinquance, avec l’aide d’un maillage du territoire par des médiateurs locaux et d’une police de proximité qui a favorisé le dialogue et non des rapports de force…
Mais la roue a visiblement tourné, chassez le naturel : il revient au galop comme dit l’adage. « M’sieur Cardo » comme le surnomme avec respect certains jeunes qui n’était pas nés lors de son mandat a quitté son poste pour le céder à son adjointe, Catherine Arrenou….
Se déclarant être une « élue qui a les pieds dans la glaise » parfois éclaboussée par les quolibets ou autres insultes d’habitants exaspérés, ce médecin généraliste qui a quitté son cabinet confortable et lucratif pour le dur sacerdoce que constitue le quotidien d’un élu de banlieue, continuant l’œuvre de son prédécesseur jusqu’à inauguré cette fameuse « Arche » point de convergence de toutes les bonnes volontés de la commune, promptes à s’investir dans la vie associative et qui aura coûté la bagatelle de 800 000 euros qui sont donc partis en fumée. Un « pognon de dingue » pour ça comme pourrait dire le Président de la République, devenu sceptique quant à un nouveau « plan Borloo » qu’il avait pourtant appelé de ses vœux mais qui lui a semblé finalement aussi onéreux que peu bénéfiques, au grand dam des élus et des habitants des territoires concernés….
La baisse des subventions, la suppression des postes de médiateurs et la fermeture d’un centre éducatif provoqués par une demande de réduction des dépenses publics ont été des facteurs annonciateurs de la reprise d’un climat d’insécurité et les premières fissures d’un édifice de réhabilitation qui avait pourtant porté ses fruits.
Certains habitants pointent du doigt l’absence récurrente de perspectives pour une population jeune et qui reste défavorisée : un taux de chômage atteignant plus de 20 % , la poussée de la précarité et de la pauvreté deux fois plus élevée que dans le reste de la région, le sentiment de discrimination ressentie par ceux qui tentent de s’en sortir mais dont le lieu de résidence continue à être synonyme de ghettoïsation ;donc la violence trouverait ses racines dans un chômage endémique, ce dont s’insurge la Maire qui clame haut et fort que s’en prendre à des bâtiments ou des personnes représentent de l’ordre public n’est pas vraiment la solution pour rebooster l’emploi….
Toujours est-il qu’une solution doit être apportée, le gouvernement a dépêché quatre ministres sur place et le Premier Ministre a condamné les dégradations inacceptables qui sont le fait « d’imbéciles » qui doivent être sanctionnés afin de ne pas propager l’idée que « pour se faire entendre, il faut tout casser » comme on a pu le voir dans un passé proche….
Chanteloup-les-Vignes n’est pas un territoire enclavé comme peuvent l’être certaines localités de l’Est Parisien qui espèrent trouver leur salut dans la mise en place d’un Grand Paris, pourvoyeur d’infrastructures nouvelles et d’emplois à la clé mais elle connait cependant les mêmes problèmes que d’autres cités de banlieue avec ses atouts que constituent une population relativement jeune, avide de créativité mais aussi ses inconvénients : ce sentiment de quadrature du cercle : plus d’effectifs, de commerces de travail , plus de subventions ne permettent pas toujours la perspective de jours meilleurs….
L’Arche sera pourtant reconstruite au cœur de la « Noé » récemment victime d’un déluge de violence mais qui ne veut pas céder aux peurs et surtout à la résignation de ses habitants ni à l’indifférence des pouvoirs publics, optant plutôt pour la reconquête d’un territoire qui ne veut pas être uniquement le décor naturel de « la Haine » …….
LA FRANCE DE POUPOU (EDITO DU 19 NOVEMBRE)
Ce mardi 19 Novembre, la petite ville Limousine de Saint-Léonard-de-Noblat a rendu un ultime hommage à son plus glorieux enfant (depuis Gay-Lussac) : Raymond Poulidor, disparu quelques jours plus tôt à l’âge de 83 ans….
Plus de 2 000 personnes avaient tenu à saluer pour la dernière fois celui qui connut une « poupoularité exceptionnelle » comme le qualifiait Antoine Blondin qui fut une des plus fameuses plumes du Tour de France. Un tour de France que le célèbre coureur cycliste ne gagna jamais, se payant même le luxe de n’avoir jamais endossé le maillot jaune une seule journée.
Ils étaient donc nombreux à vouloir rendre un hommage (mérité) à leur champion, qu’ils s’appellent Bernard Hinault, Christian Prudhomme ou tous ces anonymes qui avait côtoyé le champion. Une belle pluie d’hommages avait précédé la cérémonie, venant parfois de la nouvelle génération de coureurs, eux aussi atteint de « poupoumania » sorte de ferveur intergénérationnelle….
On n’a jamais cessé de surnommer Raymond Poulidor « l’éternel second » surtout face à son frère ennemi Jacques Anquetil, qui remporta cinq fois l’épreuve reine du cyclisme et bien sûr au non moins légendaire Eddy Merckx qui a salué la disparition d’un « grand monsieur » ….
Mais ce qualificatif de « sempiternel second » repris ensuite dans tous les domaines pour designer ceux qui échouent à acquérir la première place : « le Poulidor de la politique, des affaires, du cinéma, de la littérature » était largement erroné, le «sportif préféré des français » arriva souvent à la première place, riche d’un palmarès de plus de 189 victoires et non des moindres : Le Tour d’Espagne, deux Paris-Nice (dont un devant Merckx), la Flèche Wallonne, un championnat de France, etc… et même ironie du sort, le record de nombre de podiums dans le Tour de France….
Rien ne prédisposait ce fils de pauvres métayers de la Creuse, « émigrés » en Haute-Vienne à devenir un cycliste de légende. Pourtant, comme il le confiait : « le vélo m’a tout donné », c’était son « université » à lui qui avait dû s’arrêter au « certif » car ses parents avaient besoin de « bras » pour faire vivre l’exploitation familiale. Mais le jeune Raymond, en plus des bras, s’aperçut rapidement qu’il avait des « jambes en or », imitant ses frères aînés qui tâtaient du « guidon » chaque dimanche. Un de ses instituteurs lui offrit un abonnement à un hebdomadaire sur le cyclisme qu’il dévora avidement. Malgré des réticences familiales, il se lança alors vers sa destinée et supplanta rapidement son entourage familial en devenant une « valeur sûre » de sa région….
Après son service militaire en Algérie, il fut remarqué par un ancien coureur cycliste et agriculteur comme lui (à Livry-Gargan !), Antonin Magne qui devint alors son manager sportif pendant près de dix ans et qui forgea lentement mais sûrement la légende du futur Grand Raymond….
Sa première apparition dans le Tour de France est restée dans les annales : c’était en 1962 et son baptême du feu se fit avec un plâtre à la main une grande partie de l’épreuve. Déjà le courage et la rage de ne jamais céder.
En 1964, son duel au « coude à coude » avec Anquetil a fini de le faire entrer dans la « Cour des grands » : les deux hommes se détestaient alors cordialement et tout semblait les opposer : d’un côté, le « dandy » Jacques, fêtard invétéré, aux nombreuses conquêtes féminines, représentant d’une France moderne et émancipée et de l’autre : le « terrien » Raymond, sobre, un peu pingre, mari modèle et homme attaché à son terroir….
Pourtant, le public adula le second face au premier, scandant à tout va « vas-y Poupou », sobriquet inventé par un journaliste de l’Humanité, Emile Besson. Une popularité qui agaça probablement Anquetil l’éternel vainqueur mais qui devient curieusement lui aussi un inconditionnel de son adversaire dès qu’il arrêta sa carrière….
Mais Raymond, malgré ses nombreux titres de gloire ne parvint pas à échapper à son cruel destin sur l’épreuve reine du cyclisme, alors qu’il allait enfin pouvoir la remporter en 1968, il fut contraint à l’abandon à la suite d’une sérieuse blessure provoquée involontairement par un motard de l’épreuve. Roi de la guigne, pourrait-on penser….
Philosophe, Raymond Poulidor finit par dire : « en fait, si j’avais gagné deux ou trois fois le Tour, peut-être ne parlerait-on plus de moi aujourd’hui ». C’est peut-être vrai, et finalement cet enivrant parfum de popularité du temps de sa carrière et qui se prolongea au-delà semble avoir conforté sa légende….
Dix-sept ans d’une longue et riche carrière qu’il terminera en apothéose en finissant 3 e du tour de France alors qu’il était le doyen de l’épreuve ont fini de faire entrer au Panthéon du sport, l’homme resté simple, digne représentant de la « France d’en bas » qui n’a jamais pris la « grosse tête », certainement parce qu’il faisait partie d’une génération de sportifs de haut niveau, à l’instar d’un autre Raymond, Kopa, fils de mineurs Polonais qui avait connu lui aussi quelques années de labeur avant de connaitre la consécration et qui savaient que tout cela peut tourner un jour ou un autre si l’on se laisse griser….
Le Limousin avait entretenu sa légende en couchant ses souvenirs sur papier avec la complicité de son ami, Jean-Paul Brouchon, « voix du cyclisme » à Radio-France, enrichi d’une préface d’Eddy Merckx, excusez du peu……
Mais le sage Raymond, devenu agent de communication auprès de nombreux sponsors du cyclisme, est donc resté dans le « circuit », enfourchant jusqu’au bout une bicyclette ou un VTT, attaché à son terroir comme à la transmission du virus auprès de sa famille : son gendre et ses deux petits-fils ont fait ou font une carrière dans le cyclo-cross… La relève est assurée….
Raymond Poulidor est donc parti rejoindre son vieux complice Jacques Anquetil, parti à 53 ans des suites d’un cancer et qui lui avait soufflé par boutade : « tu vois Raymond, tu vas encore finir deuxième. Mais cette fois, n’en doutons pas, l’éternité les mettra à armes égales, ils pourront disserter sur ces petits hommes casqués et dotés d’une oreillette mais qui parcourt comme eux avec de la sueur et parfois des larmes les belles routes de France et d’ailleurs…ou quelques badauds hurleront un remake de « Vas-y Poupou » comme au bon vieux temps…
LA MORT EN CE DESERT (EDITO DU 30/11)
Treize militaires français ont donc perdu la vie ce lundi 25 novembre, victimes du devoir comme on à coutume de dire dans pareille circonstance. Treize jeunes hommes, entre 22 et 43 ans, dans la force de l’âge qui appartenaient à la mission Barkhane et qui lutte avec force et détermination contre les djihadistes qui sévissent dans cette région désertique du Sahel Malien jouxtant la frontière Nigérienne….
Une collision entre deux hélicoptères, un Cougar et un Tigre sont entrés en collision à la suite d’une opération de reconnaissance concernant le repérage d’une colonne Djihadiste qui traçait sa route au cœur de cette région hostile du cercle de Ménaka, tant au niveau climatique que topographique et qui est devenue le théâtre de nombreux attentats ou attaques violentes depuis plusieurs années….
Ce bilan est lourd puisqu’aucun des passagers n’a survécu et est le plus meurtrier enregistré par l’armée français depuis 36 ans (attentat du Drakkar à Beyrouth :58 morts, ndlr). « Ils sont morts en héros » auront été les premiers mots prononcés par le Chef de l’Etat, Emmanuel Macron pour saluer leur mémoire de façon solennelle.
Des héros ? pas sûr que ces six officiers, six officiers et ce caporal-chef, soldats aguerris venus des régiments de Pau, Gap et Varces se revendiqueraient comme tels : ils auraient certainement rétorqué qu’ils ne faisaient que leur devoir, conscients des risques qu’ils encourraient.
Mais pour nous autres, spectateurs passifs du spectacle parfois tragique du monde, ce qualificatif « héroïque » nous parait légitime et la cérémonie qui se tiendra lundi prochain aux Invalides afin d’honorer leur sacrifice relève de l’évidence….
Le temps du recueillement et de la concorde nationale doit s’imposer au moins jusqu’à cette cérémonie mais déjà quelques voix discordantes se sont élevées, certes avec modération, pour dénoncer la présence de la France, puissance moyenne et bien peu aidée par ses voisines européennes dans cette région, menant un combat coûteux autant financièrement qu’humainement et dont l’issue victorieuse resterait des plus hypothétiques face à un ennemi toujours aussi déterminé au cœur de cet endroit inhospitalier….
On se souvient des origines de cette intervention militaire voulue par François Hollande en 2013, alors président de la République et qui aura permis d’éviter au Mali de tomber sous les fourches caudines des troupes djihadistes…mais depuis, malgré cette présence des troupes françaises qui viennent en aide aux forces militaires des pays du Sahel (le « G5 Sahel ») pour lutter contre un ennemi certes neutralisé mais toujours dangereux et dont les velléités de reconquête de la région sont loin d’êtres éteintes ressemblent de plus en plus à d’autres conflits rencontrés en Irak, en Syrie ou en Afghanistan, pays qui semblent condamnés à ne jamais trouver une issue pacifique…
Cette tragédie du 25 novembre a réveillé les consciences et sur les suites à donner. Renoncer et laisser les pays concernés face à leur propre destin ? Certainement pas, on sait qu’un pays comme le Mali, doté d’une armée rapidement dépassée et d’un état fragile démocratiquement ne résisterait pas très longtemps au rouleau compresseur islamiste qui pourrait par la suite de dérouler à sa guise sur tout le reste de cette partie du continent et qui pourrait entraîner l’exode de population oppressée vers une Europe tracassée que l’on sait de moins en moins salvatrice quant à la misère du monde….
Alors oui, continuer mais se préparer à partir un jour, comme l’a suggéré le père d’une des victimes, l’ex-secrétaire d’état à la Défense, Jean-Marie Bockel. Pour cela, la France ne peut plus rester seule face à ce qui pourrait constituer sinon une quadrature du siècle mais là, le défi reste gigantesque tant les enjeux semblent très divergents. Certains observateurs préconisent la mise en place à moyen terme d’un « plan Marshall » pour le Sahel, convaincus que l’aide économique et éducative serait une solution pour venir en aide aux populations déshéritées de la région contrairement à un appui militaire persistant….
En attendant, lundi prochain, quand la nation tout entière rendra un hommage aux treize soldats valeureux et l’on percevra non sans émotion, en écoutant la sonnerie aux morts qui retentira dans la Cour des Invalides les raisons de leur combat contre l’obscurantisme….