GREVICULTURE INTENSIVE (EDITO DU 7 DECEMBRE)
Ce mouvement du 5 décembre autant annoncé que craint a tenu toutes ses promesses : selon les chiffres du Ministère de l’Intérieur, plus de 800.000 personnes (deux fois plus selon la CGT) ont défilé dans toute la France pour protester contre la volonté du gouvernement de mener à bien un des grands chantiers du quinquennat : la réforme du régime des retraites….
Une reforme dont les contours restent encore flous mais dont les trois points principaux ont suffi pour échauffer les esprits : la retraite par points, l’universalité et la fin des régimes spéciaux. Le gouvernement avait pourtant bien préparé le terrain depuis deux ans, nommé un haut-commissaire chargé de mener les négociations auprès des acteurs concernés mais cela n’a pas suffi à empêcher l’organisation d’une grande journée de mobilisation contre le projet gouvernemental, issu d’une promesse de campagne du candidat Macron en 2017….
Peuple paradoxal, les français approuvent massivement la nécessité de réformer le régime des retraites tout en apportant assez largement leur soutien aux grévistes. Comprenne qui pourra sinon que la majorité de la population affirme ne pas faire confiance au gouvernement pour réussir l’entreprise….
Peuple rebelle, les français sont connus pour détester les réformes…même s’ils finissent par les accepter. Ils aiment plus que tous les rapports de force et l’arme principale pour s’opposer au pouvoir c’est celui de la grève, discipline dont la France est championne du monde : en effet, on recense, selon une récente enquête, une moyenne de 118 jours de grève par an pour 1000 salariés au sein de l’OCDE. Elle est curieusement suivie de très près par le Danemark, pays d’Europe du Nord, où souvent l’art du compromis l’emporte sur celui de la logique d’affrontement.
Des pays comme l’Allemagne ou le Royaume-Uni confirment cet état de fait en ayant trois fois moins de jours de grève que notre valeureuse nation, sans parler de nos voisins Helvètes, amateurs de « votations » qui n’en totalise qu’un malheureux petit jour….Des voisins qui s’étonnent de la propension de leur illustre voisin à être le chantre de la stagnation sociale…..
Mais l’Hexagone qui au cours de son histoire à aboli la Monarchie absolue et tous ses privilèges jugés iniques en faisant une Révolution, puis ayant connu un Empire autoritaire et enfin un régime républicain qui a abouti à ce que certains dénoncent comme une monarchie présidentielle : celle de la Ve République...que la « Vox populi » aime à défier le pouvoir hautain, en arpentant le bitume, armée de banderoles vengeresses……
Une mini-révolution s’est pourtant déclenchée au printemps 2017, quand un vent de dégagisme a soufflé sur une France aussi riche que fracturée socialement : les Français ont mis ont estourbi le clivage droite-gauche qui avait fait les belles heures de la Ve République et porté au pouvoir une nouvelle majorité hétéroclite venue de partout et de nulle part en même temps, faisant un gentil bras d’honneur aux partis traditionnels ainsi qu’aux corps intermédiaires jugés faibles voire ringards…. Bref, la victoire d’un « nouveau monde » sur un « ancien monde » peu propice à affronter les nouveaux défis planétaires….
Les Français, par peur de l’arrivée au pouvoir d’une minorité extrémiste ont donc élu largement un jeune président qui avait dévoilé un programme dont la volonté première était de faire bouger les lignes d’un état-providence mais de plus en plus endetté en proposant un lot de réformes indispensables susceptibles de « transformer » cette société héritée de l’après-guerre pour la faire entrer dans le XXIe siècle. Deux ans après, la vie n’aura pas été un long fleuve tranquille pour l’exécutif qui aura dû faire face à un mouvement social totalement inédit, celui des gilets jaunes qu’il a fini par maitriser partiellement en distribuant plus de dix-sept milliards d’aide financière susceptibles de soulager les exclus du « système », ceux d’une France périphérique face à celle des métropoles….
Mais le jeune Président, jugé brillant mais arrogant, malgré une majorité politique confortable et une opposition divisée au rayon d’action des plus limités n’échappe pas au « syndrome de la détestation » d’une grande partie de l’opinion à son endroit comme ce fut le cas de ses prédécesseurs et qui serait en fait le principal moteur de la révolte actuelle….
Pour beaucoup, c’est le « porte-parole des riches » et le champion de la « casse sociale » et ce conflit sur « la réforme des régimes de retraite et surtout de l’abolition des régimes spéciaux » ont soudainement réveillé ses « adversaires de l’ombre » dont les syndicats non réformistes, à l’instar de la CGT et de Sud, dont les bataillons de fidèles proviennent souvent des secteurs « protégés » (sécurité de l’emploi, départ en retraite anticipé, etc…) et dont le pouvoir de « nuisance » notamment dans les transports reste considérable, même orchestrée par une toute petite minorité qui provoque un effet domino : pas de train ni de métro, donc galère dans les transports, salariés absents dans les entreprises….
Un « jeudi noir » qui a tenu toutes ses promesses du fait de son relatif succès populaire, qu’une seconde journée, cette fois ci un « mardi noir foncé » devrait renforcer pour tenter de faire plier un exécutif autant déterminé que fébrile. Des organisations syndicales qui espèrent bien reproduire le scénario de 1995 même si le contexte est bien différent : à l’époque, le gouvernement Juppé, « droit dans ses bottes » avait dû capituler après trois semaines sur le volet des « régimes spéciaux » mais là, il est peu probable qu’Emmanuel Macron et Edouard Philippe cèdent sur les fondamentaux de la réforme, au risque de faire sombrer le navire gouvernemental jusqu’à la fin d’un quinquennat qui connaitrait alors de chant du cygne….
Il va falloir de facto la jouer fine, au vu de l’ampleur d’un mouvement qui touche d’autres catégories inquiètes (les enseignants, les étudiants, etc…) qui se sont greffées au mouvement : il est clair que le duo exécutif assez complémentaire va devoir redoubler d’efforts pour calmer la fronde sociale : en première ligne, le Premier Ministre qui devrait (enfin) dévoiler les contours de la réforme, en tentant de distiller une dose de concessions aux protestataires tout en gardant les fondamentaux de la réforme tandis que le Président de la République devrait avoir le dernier mot en cas de blocage persistant aura le dernier mot…….
En définitive, le charme discret de la Ve République a refait surface : la gauche tente de ressusciter en défilant avec ceux qui l’accusait de trahison il y a peu, la droite fustige un pouvoir dont elle aurait rêvé de mener à bien les réformes en cours, des populistes de droite comme de gauche qui rêvent simultanément au grand soir, des syndicats réformistes taxés d’être des « sociaux-traites », d’autres syndicats protestataires qui retrouvent des couleurs en espérant ne pas être « débordés par leur base et un président qui connait certainement un grand moment de solitude…..
LE BOJO NOUVEAU EST ARRIVE ! (EDITO DU 13 DECEMBRE)
Il était devenu le 14 -ème ministre de sa très gracieuse Majesté après la démission de Teresa May survenue le 24 juillet dernier et à l’époque beaucoup d’observateurs ne donnait pas cher de la durée de vie gouvernementale de Boris Johnson, alias « Bo Jo.
L’ancien maire de Londres, connu pour ses excentricités et surtout pour sa responsabilité dans le succès du « Yes » au Brexit et dont beaucoup d’ électeurs lui reprochaient d’avoir mis en exergue des arguments fallacieux pour mener à bien son entreprise ne pouvait qu’atterrir dans le même « cul de sac » que la pourtant opiniâtre Teresa May face à l’intransigeance des négociateurs européens et surtout plombée par une classe politique autant tatillonne que divisée pour mener à bien une sortie honorable de l’imprévisible Albion du carcan européen….
D’autant que le bouillant Boris avait donné des coups de menton lors des rencontres Bruxelloises ou du G7 en affirmant que le Royaume-Uni quitterait l’UE avec ou sans accord avant le 31 octobre dernier pour finalement changer d’avis, rattrapé par les impératifs législatifs, provoquant une faute politique (la mise en quarantaine du Parlement) et surtout conscient du risque d’un réveil brutal en cas de baroud d’honneur….
Il décida alors de jouer son va-tout en provoquant des élections anticipées et finalement bien lui en a pris car ce jeudi 12 novembre il a remporté la majorité absolue : 365 sur les 650 que compte la Chambre. Du jamais vu depuis les années Thatcher, infligeant une humiliante raclée à son meilleur ennemi, le travailliste Corbyn qui doit se contenter de 200 élus et déplorer la perte de plusieurs circonscriptions ancrées depuis toujours à gauche…
Boris l’ébouriffé et le débraillé, pur produit de l’élite Made in England a rondement mené sa campagne électorale, optant pour un style simple mais didactique qui a séduit un électorat populaire avec comme ligne de mire de transformer « l’Arlésienne » du Brexit en « lady prête à s’émanciper » du grand méchant Bruxellois a contrario de Jeremy le Rouge, idéologue jusqu’aux ongles qui aura constamment joué hors-jeu, vantant un retour à l’état-providence des années 60 et dont les supporters se trouvaient curieusement dans les rangs des Bobos des beaux quartiers cher à BoJo. Le monde à l’envers….
Cette victoire claire et nette va permettre de déclencher enfin la procédure de divorce qui devrait intervenir au soir du 31 janvier 2020 et mettre ainsi fin à quarante-six ans d’une relation du type « je t’aime moi non plus » entre le Continent et l’Albion plus ou moins perfide….
Enivré par un tel succès, le bouillant BoJo s’est mis à rêver d’une Grande-Bretagne émancipée, en quête d’un nouveau contrat social, économique et financier, reprenant au passage son idée d’un plan Marshall contre la misère hospitalière qui gangrène le pays et qui a été au cœur de la campagne…
Toujours à l’affût en matière de com’, le Président-Entrepreneur Trump s’est empressé de le féliciter et de lui tendre la main pour générer derechef un partenariat économique, toujours prêt à tacler l’ennemi européen qui le méprise allègrement….
Mais passé l’euphorie du succès électoral, le Royaume-Uni ne deviendra pas pour autant un électron libre le 1 er février car les finalités du divorce risquent de trainer en longueur : d’abord la divorcée doit encore verser cinquante milliards d’euros de dédommagement à son ex-partenaire et s’engager dans une année encore très chargée en matière de détricotage des accords commerciaux concoctés au fil du temps avec les instances européennes et qui ne vont se délier aussi facilement, tant les rouages qui les composent sont autant complexes qu’ardus. On a déjà assisté aux nombreux bras de fer entre les négociateurs British et l’intraitable Michel Barnier pour savoir que la porte de sortie n’est pas encore vraiment ouverte à tous les vents. En fait, la fin du « tunnel sous la Manche « ne pourrait trouver trouver son épilogue que d’ici trois ans….
C’est vrai, fort de sa majorité écrasante qui peut jouer en sa faveur, BoJo, soudain auréolé d’une légitimé incontestable qui contraste avec les années précédentes ou les Tories devait composer avec un improbable allié unioniste nord-Irlandais pourrait accélérer de facto le processus de divorce, faisant fi de ses nombreux obstacles et se lancer dans le grand vide de la reconquête d’un monde hors des frontières européennes, sauf que le Royaume-Uni, en convalescence économique avec une croissance en berne a autant besoin de ses toujours partenaires que l’inverse….
Et puis, à moyen terme, un autre évènement pourrait contrarier les ambitions de nos voisins d’Outre-Manche, c’est le regain du courant indépendantiste écossais qui avait naguère renoncé à quitter le navire britannique étant donné son attachement à l’Europe. A présent, la donne est complètement différente et les soixante élus écossais qui sont le deuxième « vainqueur de l’élection de jeudi » pourront donner un signal alarmant à un Boris Johnson, farouchement hostile à une telle démarche….
Dans l’immédiat, le Royaume-Uni, s’il a gagné une bataille, n’a pas pour autant gagné la guerre. Outre les interminables négociations qui vont suivre, un scénario des plus cocasses va s’écrire dans les prochains mois, avec notamment des Députés Britanniques élus aux dernières élections européennes qui devraient en toute logique quitter le navire européen au 31 janvier, mais ce n’est pas si simple que ça : être député à Strasbourg, c’est représenter l’Europe en général mais pas son pays en particulier, d’où la possibilité de jouer les prolongations…
Incredible but True……
LE VENT CONTRAIRE DES AURES (EDITO DU 28/12)
Il était considéré comme un des derniers « dinosaures » de la révolution Algérienne. A 79 ans, le Général Gaid Salah, chef d’état-major des armées et encore récemment homme fort du pays est mort d’une crise cardiaque, quelques jours après avoir adoubé son « poulain » à la Présidence, le technocrate Tebboune, issu comme lui du FLN qui domine la vie politique depuis l’indépendance….
C’est à dix-sept ans que ce « cadet de la Toussaint », issu de l’Est Algérien si rebelle, a rejoint les rangs de l’Armée de libération Nationale en quête de chasser le pouvoir colonial Français. C’est à la force du poignet qu’il va gravir tous les échelons de la hiérarchie militaire. Proche de Bouteflika, il soutiendra d’abord la cinquième candidature de ce vieillard devenu sénile et inapte à gouverner avant de le lâcher et de se rapprocher des manifestants pacifistes mais déterminés à vouloir tourner la page d’un système politique autant usé que corrompu…C’est ce que l’on va appeler le « Hirak » (le mouvement) et qui va pousser le Président moribond vers la sortie….
Jugé opportuniste pour beaucoup, le Général Gaid Salah ne s’est pas attiré la sympathie des manifestants qui ont vu en lui un pilier du régime peu amène à faire bouger les lignes. Son « intérim » au pouvoir a suscité plus de suspicion que de réelle volonté à accélérer le dégagisme. La dernière présidentielle censée incarner la rupture n’aura favoriser que des compétiteurs tous issus de l’ancien régime et surtout été caractérisée par une abstention record (plus de 60 %, et parfois de plus de 90 % dans la Kabylie rebelle) contrariant les espérances trop optimistes du vieux général quant au succès du scrutin.
C’est finalement son « protégé » Abdelmadjid Debboune, 74 ans, pas vraiment un perdreau de l’année mais qui est le premier dirigeant à ne pas être issu de la guerre d’indépendance. Sorti de l’ENA algérienne, il a entamé une longue carrière dans la Préfectorale avant de participer à différents ministères au cours de la précédente décennie, devenant même un éphémère Premier Ministre de Bouteflika en 2017 avant d’être limogé par ce dernier pour avoir tenté de s’attaquer à quelques oligarchies qui hantent les antichambres du pouvoir. Son élection avec 58 % des suffrages dès le 1 er tour n’a pas vraiment suscité de ferveur et malgré de timides promesses de vouloir dialoguer avec les manifestants qui veulent tourner la page de l’Algérie de Papa, avec son clientélisme, ses castes et l’armée qui tirent toutes les ficelles…. Au contraire, la méfiance est de retour, et le nouveau dirigeant « indépendant » reste aux yeux de beaucoup comme un « recyclé » estampillé FLN.
Ce pays, le plus grand d’Afrique et qui a quadruplé sa population depuis 1962 pour atteindre les 44 millions d’habitants, avec plus de 55 % de la population qui a moins de trente ans et dont près de 20 % même parmi les plus diplômés qui sont au chômage sont toujours plus tentés d’aller « voir » ailleurs. L’Algérie trop dépendante de ses hydrocarbures (95 % de ses exportations), n’a pas assez investi dans la diversification industrielle, avec ses effectifs pléthoriques dans les administrations, son agriculture collectivisée n’est pas très dynamique et son « repli sur elle-même : refus d’adhérer à l’OMC, à la Francophonie ou encore dans le développement du tourisme pour des raisons souvent idéologiques et les terribles séquelles de la guerre civile, rendant le pays peu sûr ne plaident pas en sa faveur.
L’armée s’est également érigée en rempart à la dérive islamique qui risquerait de déstabiliser le pays de façon irréversible d’où la tentation de confisquer un pouvoir à ceux qui voudraient l’éclosion des composantes bridées de la société Algérienne (la question Berbère, l’émergence d’une classe moyenne, etc…) sans oublier l’ingérence de puissances étrangères comme la France, sommée de plus de discrétion et de repentance sur son ancienne colonie…
Un exécutif « aux ordres » d’une armée omniprésente n’est évidemment pas la voie à suivre au risque de transformer le pacifisme en radicalisme, et les slogans par une poudrière aux quatre coins du pays. Il est clair que faire sauter certains verrous s’avèrent indispensables pour redonner l’espoir à des manifestants qui aimeraient enfin connaitre « leur printemps Arabe » mais certainement pas à la sauce égyptienne, symbole d’un effet « boomerang.
Pour résumer, la tâche s’avère titanesque……