LE PREMIER HOMME (EDITO DU 5 JANVIER 2020)
Lundi 4 janvier 1960, 13h55 : une Facel Vega visiblement engagée à vive allure s’écrase violemment contre un platane planté sur la RN6 au lieu-dit « Petit-Villeblevin » (Yonne). A bord du véhicule, quatre personnes : deux hommes et deux femmes. Le passager avant est tué sur le coup : il avait 46 ans et la France sous le choc va découvrir qu’il s’agit d’Albert Camus, un des plus grands écrivains de son temps.
Le Prix Nobel de Littérature 1957 (dont il fut alors le plus jeune lauréat) avait passé les fêtes de fin d’année dans sa propriété de Lourmarin (Vaucluse) en compagnie de sa famille qui rentrera par le train et de celle de son ami et éditeur Michel Gallimard…Ce dernier était le conducteur du véhicule, il mourra quelques jours après l’accident, tandis que sa femme et sa fille en sortiront indemnes…
La dépouille mortelle d’Albert Camus sera transférée à la mairie de ce paisible village du Sénonais qui entrera alors dans l’histoire (une stèle au milieu du village rappelle ce drame). De nombreuses personnalités viendront s’incliner sur la dépouille de l’illustre hôte avant qu’il ne soit inhumé au cimetière de Lourmarin.
Ainsi s’achevait la courte mais ô combien vie hors du commun d’un enfant d’une Algérie encore Française et dont il restera attaché sans avoir pu connaître l’issue d’une guerre coloniale qui prendra fin deux ans plus tard.
Né en 1913 dans le Constantinois (à l’est du Pays), orphelin de père (qui sera tué dans les premiers combats de la Marne à l’Automne 1914), élevé par une mère analphabète et une grand-mère autoritaire qui partirent s’installer dans les quartiers populaires d’Alger : rien de prédestinait ce petit « blanc » dont les ancêtres venaient d’Espagne à connaître une telle destinée. Grâce à l’obstination d’un instituteur visionnaire, Monsieur Germain, qui réussit à convaincre un environnement familial hostile, de lui faire poursuivre des études secondaires puis supérieures lui ouvrant ainsi la porte d’une évidente ascension sociale…
Cette enfance pauvre mais honorable dans un environnement où « la misère était moins pénible au soleil », avec ses plaisirs simples (la baignade, le football) constitueront un des marqueurs forts de l’existence de l’écrivain. Frappé par la tuberculose, il ne pourra passer l’agrégation de Philosophie. Cela ne l’empêchera pas de venir en Métropole dans les années 40 où il sera introduit dans le microcosme Germanopratin, se liant d’amitié avec Mauriac, Sartre ou Beauvoir.
Engagé dans la Résistance, il participe à la création du quotidien Combat tout en entamant une carrière littéraire et théâtrale qui va vite être couronnée de succès. Ses romans : « L’Etranger », « la Peste » seront de grands succès de librairie, ses pièces de théâtre telle « Caligula » lui apporteront une grande notoriété.
Le combat intellectuel de Camus sera axé sur le thème permanent de la révolte, le mettant en marge des intellocrates Français, à l’instar d’un Sartre prônant la Révolution qui sera frappé de cécité sur les crimes du Régime Stalinien. Taxé de naïf par ses détracteurs, l’auteur de « Noces » sera toujours plus considéré comme un artiste que comme un philosophe….
Quant à la question Algérienne, il optera pour la nuance, à l’opposé des extrêmes (soutien au FLN ou OAS), se prononçant pour une Algérie Française mais accordant plus de droits aux minorités brimées (tels les Kabyles), ce que lui reprocheront les éléments les plus radicaux ou mêmes les observateurs plus modérés, convaincus par l’issue d’une indépendance inéluctable….
Soixante ans après sa disparition, Camus reste dans toutes les mémoires et demeure un des écrivains français les plus lus dans le Monde, les plus étudiés dans les écoles de France et d’ailleurs et dont le style et le combat mené reste toujours d’actualités, n’ayant pris que peu de rides.
Personnage honoré, il aurait pu connaitre le suprême honneur de rentrer au Panthéon sous l’égide de Nicolas Sarkozy mais une partie de sa famille s’opposa fermement à ce projet…. Peu importe, finalement, la gloire post-mortem de l’homme révolté vaut bien tous les hommages et pour revisiter le parcours, rien de tel que de relire ce qui est devenu « le Premier Homme », un manuscrit inachevé trouvé dans sa sacoche parmi les débris de l’accident et qui sera publié post-mortem en 1994.
On y découvre un récit plus ou moins autobiographique dans lequel Camus effectue un retour aux sources dans son pays d’origine : à la recherche de ses racines, d’un père qu’il n’a pas connu et ses interrogations sur un pays natal dont l’issue lui échappe mais le destin l’empêchera ad vitam aeternam de trouver des réponses à ses questions existentielles….
Philippe DUPONT.
LA RETRAITE AUX FLAMBEAUX (EDITO DU 25 Janvier)
Ce 23 Janvier à Paris et dans les grandes métropoles, une énième manifestation contre la réforme des retraites a presque constitué l’ultime tentative pour faire plier un gouvernement jugé « entêté » par les syndicats les plus hostiles, en l’occurrence la CGT, SUD et Force Ouvrière.
Malgré une mobilisation sans failles, des actions de blocage à répétitions (Ports, Raffineries), il semblerait que ces mêmes organisations syndicales fassent leur baroud d’honneur, avant présentation du projet en conseil des ministres vendredi. Ce qu’ils avaient réussi en 1995 n’aura pas pu se reproduire vingt ans après, malgré une très longue grève des transports qui a cependant rendu la vie des usagers surtout Franciliens particulièrement difficiles et mis à mal bon nombre de secteurs clés de l’économie (transports, commerces, activités des PME, etc…).
Comme plaisantait un humoriste sur France Inter (toujours en grève) : « il est plus facile de se rendre de Tokyo à Beyrouth » (allusion à la fuite de Carlos Ghosn) que de « Paris à Etampes ». Pas faux, mais au fil du temps, les malheureux usagers ont fini par s’organiser en utilisant des modes de communications qui n’existaient pas en 1995 (co-voiturage, cars, réseaux sociaux, Télétravail, etc…) mais cela n’a cependant pas empêché certains de « passer quand même quatre heures par jour » dans les transports.
Paradoxalement, d’après les sondages, une grande majorité de Français réprouvent la réforme des retraites et comprennent la grève des transports. Mais qui sont ces Français ? ceux qui sont serrés comme des sardines dans les rares rames qui ont daigné les secourir ou bien ceux qui habitent l’Ardèche où ne passent aucun train de voyageurs ? Ceux qui ont des emplois protégés ou bien ceux qui font partie des « charrettes » des énièmes plans sociaux du secteur privé ?
Certains observateurs ont condamné l’émergence de groupuscules radicaux au sein même des organisations syndicales qui n’ont aucune autorité sur eux, à l’instar d’un Philippe Martinez qui se voit obligé de continuer un mouvement en sachant pertinemment que son pari est perdu tandis que d’autres fustigent la CFDT de toujours jouer les « collaborateurs » d’un pouvoir devenu autoritaire et surtout sourd à leurs requêtes….
Non le pouvoir n’a pas fléchi comme l’avaient fait auparavant ses prédécesseurs, victimes résignées d’un « pays qui n’aiment pas les réformes » qui sont souvent synonymes de régression sociale pour les plus réfractaires tandis que les autres se rangent dans la catégorie des fatalistes. Oui, Emmanuel Macron va réussir à faire passer cette réforme issue d’une promesse de campagne mais non sans mal et non sans danger pour la suite de son quinquennat et surtout pour sa réélection qui s’annonce pour l’instant plus qu’incertaine tant l’homme suscite un rejet massif renforcé de ses détracteurs mais aussi une déception sur son exercice du pouvoir chez une partie de ses électeurs de 2017….
Le joueur d’échecs hors pair qu’il demeure a fait « échec » à ses protestataires, il n’a pas encore fait « mat ». Il pâtit d’un indéniable problème de communication avec l’opinion publique : d’une réforme (très largement inspirée par des économistes de Gauche), dont la finalité devrait au final beaucoup plus profiter aux plus modestes (réfractaire au chef de l’état) plutôt qu’aux plus favorisés (souvent électeurs du même Macron) n’a pas été comprise ou plutôt perçue comme une réforme injuste qui ne laisserait que des perdants aux dires des syndicats les plus radicaux voire une tentative de capitalisation pour remplacer le régime par répartition.
Le flou concernant des points cruciaux de la réforme (pénibilité, maintien de certains régimes spéciaux, âge pivot, etc.) sans oublier les réprimandes du Conseil d’Etat quant au financement de l’ensemble n’ont pas facilité la tâche de l’exécutif…
Les syndicats les plus radicaux ont donc perdu la partie tandis que les réformistes (CFDT et UNSA) qui participeront à la « grande conférence » pour tenter de trouver un accord a minima avec le pouvoir qui ne peut de toute façon plus reculer. On le sait dans le passé, toute reculade n’a jamais porté chance aux gouvernants et a eu tendance à nous ancrer toujours plus dans un immobilisme dont nous ne sortons jamais.
Alors, seul reste l’art du compromis qui nous est si peu familier mais qui demeure un des meilleurs outils pour sortir de la quadrature du cercle dans laquelle s’enferme parfois notre cher et vieux pays….