LE JEU DES MILLE EUROS
Le Samedi 19 Avril 1958, la petite ville du Blanc, sous-préfecture de l’Indre vit un moment important : la population est conviée à participer au premier enregistrement d’un tout nouveau jeu radiophonique : « 100 000 Nouveaux Francs par Jour » que propose la radio nationale Paris-Inter et son producteur-animateur Henri Kubnick…
Ce dernier est né en 1912, il a entamé avant-guerre une carrière à la Radio tout en étant parolier et écrivain, il ignore alors que ce nouveau jeu né à la fin de Quatrième République continuera d’exister 62 ans après, devenant le plus ancien jeu radiophonique encore diffusé sur les ondes et la deuxième plus ancienne émission après le « Masque et la Plume » (créée en 1955 par François-Régis Bastide et Michel Polac), toutes les deux programmées sur France Inter….
Le jeu prend son envol rapidement rencontrant un vif succès tout en changeant de nom à la suite de la mise en place du nouveau Franc, devenant « Le jeu des Mille Francs » nom qu’il gardera jusqu’à la mise en place de la monnaie unique européenne en 2002, devenant alors « Le jeu des Mille Euros ».
Il ne suit pas uniquement les fluctuations monétaires, il procède également à un turnover de ses animateurs : dès 1960, le producteur Kubnick renonce à la présentation cédant sa place à des animateurs vedettes de l’époque, dont Albert Raisner, le très populaire animateur de « Age tendre et tête de bois » et surtout Roger Lanzac, le « Monsieur Loyal » de la légendaire « Piste aux Etoiles » de Gilles Margaritis……
Mais en 1965, Lanzac est remplacé par Lucien Jeunesse, animateur de radio et chanteur populaire dans les années 50 qui va rester à l’antenne durant 30 ans et dont le nom reste à jamais lié à cette période du « Jeu des Mille Francs ».
« Chers ami(es), bonjour ! »
L’animateur populaire va arpenter les moindres recoins de l’hexagone, parfois de l’Outre-Mer et du reste du monde en démarrant le jeu avec son fameux « Chers amis, bonjour !» pour le conclure avec « Et a demain, si vous le voulez bien ! »
En trente ans d’émissions, il aura fait plusieurs fois le tour de la terre, couché dans la majeure partie des hôtels et restaurants de France, vécu comme un VRP qui change presque chaque jour de villes ou de villages dont il présente les atouts et les richesses à chaque début d’émission….
Diffusée à l’époque, sept jours sur sept, avant le journal de 13 heures, le « jeu des mille francs » est donc devenu une institution mais qui fut menacée de suppression à la suite du départ de Lucien Jeunesse en 1995 mais les nombreuses protestations d’auditeurs firent reculer la direction de Radio France…
Le jeu avait pourtant pris un certain « coup de vieux », devenant le synonyme de la « radio de papa » qui trouvait encore un écho dans les salles non moins vieillottes de la « France profonde », le film « Tandem » de Patrice Leconte, dans lequel Jean Rochefort interprétait un animateur « has been » à la radio dont la direction décide de se séparer, en ne mettant à confidence que son dévoué assistant (Gérard Jugnot) était plus ou moins inspiré de l’animateur vedette de France Inter qui goûta assez peu cette caricature qu’il jugea injuste et infondée….
C’est alors que l’on pensa à un vieux routier de la station en la personne de Louis Bozon Ce dernier, animateur très polyvalent, surtout titulaire des tranches matinales de France Inter où il est rentré en 1965 et devenu une des « grandes voix » de la station à l’instar de José Artur, Pierre Bouteiller, Jacques Chancel ou Claude Villers . Cependant, il n’est a priori pas « très chaud » pour reprendre le flambeau…
Pourtant, le confident préféré de Marlène Dietrich avait déjà pratiqué l’exercice ludique : dans les années 80, il avait également été animateur à la télévision de « Réponse à tout » un jeu conçu par…Henri Kubnick et animé auparavant par deux autres animateurs de France Inter : Annick Beauchamp (« Madame Inter ») et…Lucien Jeunesse, comme quoi le monde est petit……
Mais il accepte le défi en dépit d’une première année difficile, comme il le relatera dans une interview : la fréquentation des hôtels miteux, le vieillissement de l’auditorat ne constitue pas d’emblée une promotion. Cependant, la roue tournera dans le bon sens, Louis Bozon aura la bonne idée de créer un « spécial jeunes » attirant une nouvelle tranche d’auditeurs et reboostant une audience, qui avoisine le million d’auditeurs chaque jour….
Le jeu est à alors produit par Josée Gorce qui a remplacé le créateur Henri Kubnick, disparu accidentellement en 1991, améliorant le quotidien du jeu notamment au niveau logistique tout en travaillant en binôme avec Louis Bozon, quant aux choix des questions…
En 2008, l’animateur décide de prendre sa retraite, n’entrainant pas cette fois-ci la volonté de suppression du jeu et le choix du successeur se porte sur un « autre animateur des matinales », valeur sûre de la génération montante d’Inter en la personne de Nicolas Stoufflet qui en est devenu le nouveau producteur et qui a réussi à imposer sa griffe permettant à un jeu de 62 ans ne conserver sans jeu de mots une nouvelle « jeunesse » …
Les règles du jeu des « mille euros » n’ont guère changé depuis les débuts : deux candidats, l’un Candidat et l’autre est son renfort qui vient à son secours s’il trébuche ou hésite sur les six questions posées : trois blanches, deux bleues et une rouge, chaque couleur représentant le degré de difficulté….
Les questions sont envoyées par les auditeurs, dont certains sont des habitués de longue date et qui peuvent d’ailleurs gagner une petite somme en cas d’échec des candidats, la production décidant ensuite de trier les questions par difficulté.
Si les candidats ne répondent qu’a un maximum de quatre questions, ils repartiront donc avec un gain minimal et un baladeur FM…
DING DONG DING
Entre chaque question posée, le réalisateur Yann Pailleret, frappe les lames de son métallophone, véritable marque de fabrique du jeu, dont la dernière tonalité doit déboucher sur une réponse ou pas des candidats….
Grâce à la question de « rattrapage » (souvent un enregistrement sonore), ils peuvent, en cas de réussite, accéder au « banco ».
A l’origine, gagner le Banco signifiait : empocher les Mille Francs, que les candidats se partageaient en deux. Avec l’arrivée de l’Euro, le banco s’est d’abord élevé à 300 euros puis à 500.
« BANCO, BANCO, BANCO » !
Lorsque les deux candidats ont réussi à répondre aux six questions, l’animateur leur demande toujours s’ils comptent tenter…le Banco et en guise d’encouragements, la salle entière scande le fameux mot « Banco, banco », banco » qui dans 99.99 % des cas sera accepté par les joueurs, adoubé par une rasade d’applaudissements…
Gagner le « Banco » vous permet d’accéder au « Super Banco » que scande le public : les candidats les plus hardis s’y risquent…et se cassent parfois les dents, perdant au passage leur gain mais confirmant l’adage du Baron de Coubertin : l’essentiel n’est pas de vaincre mais de participer » ….
Le « jeu des mille euros » né en même temps que les autres jeux diffusés sur les radios périphériques mais qui ont disparu depuis (Radio-Luxembourg, devenu RTL avec son fameux « Quitte ou double » de Zappy Max et Europe 1 et ses jeux musicaux) fait figure de vénérable ancêtre en continuant de sillonner les moindres recoins de notre hexagone avec une audience qui ne faiblit pas (toujours autour du million d’auditeurs), s’affichant même souvent en leader sur cette « tranche horaire ». Plusieurs enregistrements sont effectués dans un même endroit et sont diffusés la semaine suivante, à présent du lundi au vendredi, seulement.
Le passage du « Jeu des Mille Euros » reste un moment de gloire pour des petites localités de la France parfois périphérique, telle une étape du tour de France, attirant petits et grands, jeunes et vieux trop contents de voir leur salle des fêtes retrouver ses lustres d’antan….
C’est vrai, les candidats sont souvent, comme dans beaucoup de jeux, des « jeunes retraités » qui ne veulent pas perdre la main mais les « spécial jeunes » ou « étudiants » sont toujours aussi prisés et ont permis à la station nationale de « rajeunir » son audience au fil du temps en apportant le « petit plus » culturel par rapport aux radios « libres » qui continuent de perpétuer la tradition des jeux musicaux très actifs naguère sur les postes périphériques…….