ON N’EST PRESQUE COUCHES

 

La nouvelle n’a pas vraiment fait l’effet d’une bombe dans le Landernau médiatique : « On n’est pas couché », plus connue sous le nom de « ONPC » ne sera pas reconduite la saison prochaine. L’émission co-produite par Catherine Barma et Laurent Ruquier qui occupait la seconde partie de soirée du samedi sur France 2 depuis 14 ans va donc connaitre le clap de fin…

Il y a toujours plusieurs raisons pour expliquer la fin d’une émission : un concept dépassé, des animateurs usés, une audience en baisse.

En ce qui concerne ONPC, on pense surtout à la dernière : celle d’une audience qui n’a cessé de s’éroder au fil du temps : moins de 800 000 téléspectateurs, la moitié de moins qu’à ses débuts mais aussi à la première : un concept un peu dépassé, l’impression de « tourner en rond » » avec deux inconvénients pénalisants : l’enregistrement de l’émission le jeudi ne collait pas toujours à l’actualité qui est censée être la « marque de fabrique » de l’émission et le « duo d’interviewers titulaires »  chargés d’encenser ou de « dégommer les invités » a également fait son temps, même si la récente décision de procéder à des intervenants occasionnels pouvait donner un second souffle à l’exercice….

Déjà l’an passé, certains observateurs doutaient déjà de la reconduction de l’émission phare du samedi soir pour la rentrée suivante et Laurent Ruquier lui-même semblait murmurer une volonté de changement de cap….

D’autres voyaient plutôt poindre la stratégie de rajeunissement des antennes de la présidente de France Télévisions Ernotte qui avait mis fin au règne des « indéboulonnables » Julien Le Pers ou encore Patrick Sébastien ou William Leymergie parti à la retraite (sur une chaine concurrente) ou un meilleur équilibrage de la parité homme-femme (privilégiant surtout la féminisation) …

Mais le « jeunisme » n’est pas forcément de mise puisqu’elle a épargné Michel Drucker, même si celui-ci n’est pas dupe sur son avenir : à 78 ans, ce rescapé de l’ORTF pourrait rétorquer à un DRH lui posant la question « comment vous voyez-vous dans dix ans ? » « Peut-être sur une autre chaîne… », en ce qui concerne Laurent Ruquier, la « validation des trimestres » n’est pas de mise, il n’a que 57 ans et donc peut aspirer légitimement à encore « hanter » les plateaux de télévision comme ses homologues et tout aussi actifs Stéphane Bern (même âge) ou Nagui (59 ans) ……

C’est d’ailleurs son intention : la suppression de son émission de signifie pas « éviction » de son animateur principal mais plutôt d’un début de « réflexion sur un nouveau concept » et notre animateur-producteur l’a déjà trouvé : celui de faire une émission, cette fois-ci en direct, certainement plus en adéquation avec le traitement « à chaud » de l’actualité avec les « aléas » que cela peut comporter mais avec probablement la même finalité, ce type d’émission constituant le SAV (Service Après-Vente) de tout auteur, chanteur ou écrivain : on y vient rarement pour donner uniquement son avis mais généralement pour « vendre » quelque chose……La loi du marché en somme….

Laurent Ruquier reste un « animateur » bankable, pour parler français, c'est à dire quelqu’un qui « rapporte » et, dont la notoriété est suffisante pour amener vers lui des téléspectateurs nouveaux comme anciens et jusqu’à présent, sa longévité professionnelle est indéniablement liée à de bons « choix professionnels », une boulimie de travail et un talent certain pour l’écriture avec une étonnante faculté à s’entourer de « compagnons de route » qui l’ont suivi aussi bien à la télévision qu’à la radio depuis plus de trois décennies….

Les « stars du petit écran » travaillent souvent en binôme : à l’instar de Thierry Ardisson, Michel Drucker ou Nagui, Laurent Ruquier a pris le même chemin avec Catherine Barma qui était déjà la complice de Thierry Ardisson depuis les débuts de ce dernier sur le petit écran.

Née en 1945, c’est une enfant de la « télé » : elle est la fille du réalisateur Claude Barma, à qui l’on doit notamment la série des « Maigret » (avec Jean Richard), le feuilleton mythique « Belphégor » et bien sûr « Les Rois Maudits » (en 1972) qui firent les grandes heures de la télévision française de ces années-là….

Pourtant, à la rentrée, il ne repartira pas avec cette complice habituelle mais avec Philippe Thuillier, le « chef d’Orchestre » des « Grosses Têtes » l’émission phare de RTL animée par Laurent Ruquier lui-même depuis le départ (un peu forcé) de son créateur Philippe Bouvard en 2014….

La vie d’animateur reste un travail « d’intermittent », intermittent certes très bien payé mais rarement un « travail à durée indéterminée » où il faut sans cesse se renouveler, avoir l’œil rivé sur les audiences y compris sur les chaînes publiques et pas toujours assuré de « transformer l’essai » immédiatement : Laurent Ruquier en sait quelque chose : 14 ans passé à « ONPC » contre 5 jours sur le plus beau (et presque unique) flop de sa carrière : « les niouzes » sur TF1 en 1995 !

Rien ne prédestinait au départ Laurent Ruquier à devenir une célébrité. Petit dernier (non désiré) d’une famille ouvrière du Havre, c’est un enfant un peu chétif, pas sûr de lui et qui cultive dès l’enfance sa différence : lui n’aime pas forcément le foot pratiqué dans cité HLM de la Porte Océane, préférant cultiver son jardin secret : il joue à « l’animateur radio » reproduisant dans sa chambre une nouvelle version des « Grosses têtes », il ignore alors que son rêve de gosse se réalisera par la suite….

A l’école, il camoufle son relatif complexe d’infériorité par la découverte de ses « dons comiques » et sait amuser ses camarades de classe. Premier de sa famille à faire des études secondaires puis supérieures, il est vite rattrapé par sa passion première : la radio :  cela tombe bien en 1981, c’est la « libéralisation des ondes » avec l’arrivée de la Gauche au pouvoir et notre futur animateur sera un acteur actif dans la bande FM Havraise….

Mais comme beaucoup de provinciaux attirés par les paillettes, c’est Paris qui s’impose pour espérer réussir et se « rapprocher des étoiles », il monte donc dans la « Capitale » et y fera quelques rencontres primordiales, avec une petite dose de culot, la « niaque » nécessaire pour pouvoir percer, un talent déjà affirmé, il y fera quelques rencontres primordiales : Jacques Martin, l’homme du Petit Rapporteur et de Dimanche Martin et ex disciple de Jean Yanne, Jean Amadou, le roi des chansonniers et également animateur sur Europe 1 et TF1 ou encore Jacques Mailhot, également chansonnier et animateur de l’émission culte de France Inter « L’Oreille en coin » tous lui mettront le pied à l’étrier, il saura leur rendre la pareille….

Le succès viendra donc assez vite : à la télévision, avec Jacques Martin et à la radio sur France Inter, d’abord avec Claude Villers puis comme animateur de « Rien à cirer » où il s’entoure de complices devenus célèbres depuis : Laurent Gerra, Anne Roumanoff, Laurence Boccolini, Didier Porte ou Pascal Brunner……

Puis ce sera l’aventure d’Europe 1 pendant une douzaine d’années, où il se constitue une « nouvelle bande » avec « On va s’gêner » avec Pierre Benichou, Claude Sarraute, Christine Bravo, Isabelle Mergaut, Steevy Boulay ou Jean Benguigui... puis enfin sur RTL avec les « Grosses Têtes » : le rêve de gosse réalisé….

Mais Laurent Ruquier est surtout un « boulimique » de travail : il écrit des pièces de théâtre, produit des spectacles et anime d’autres émissions de télévision, dont deux remakes : « les enfants de la télé » et « Monsieur Cinéma » ……

Retour en 2020 avec ce nouveau défi de la rentrée mais avec une question qui s’impose : « peut-il vraiment se renouveler ? » ou être contraint à refaire toujours le même type d’émissions, avec quelques petites nouveautés comme lorsque l’on relifte son intérieur ?

Le décrochage d’audience de « ONPC » est probablement lié à plusieurs facteurs : d’abord l’émission était trop longue (plus de 3 heures d’antenne) et le tandem d’animateurs, « force de frappe » de l’émission à l’époque de « Zemmour et Naulleau » ne s’est pas confirmé par la suite, à l’exception de « Yann Moix et Léa Salamé » dont Ruquier déclarait récemment être avoir constitué sa « dream team » sans oublier Natacha Polony….

Mais Laurent Ruquier n’est devenu au fil du temps « qu’un passeur de plats » avec ses petits éditoriaux de début d’émission pas toujours drôles (comme c’est également parfois le cas « aux Grosses têtes », on est très loin du Ruquier corrosif de « Rien à cirer ») même s’il s’entourait d’amuseurs talentueux comme Marc Antoine Le Bret, Nicolas Bedos ou encore l’excellent Jonathan Lambert…….

Le Ruquier, homme public n’a pas manqué de courage en faisant  son « coming out » avant tout le monde, ce qui n’a aucunement nui à sa carrière, affichant  également aussi une « sensibilité de Gauche », normal lorsque l’on a grandi dans un milieu ouvrier dans la plus grande ville communiste de France (à l’époque) mais le temps a passé et le « prolo » a rejoint « le camp des nantis » et supporte assez mal qu’on le  taxe de « gauche caviar » à l’instar de beaucoup d’artistes et intellectuels germanopratins, comme le fit à son endroit le très provocateur Nicolas Dupont-Aignan

Ce qui fit sortir de "ses gonds",  l’animateur enjoué qui aime a contrario« vanner les autres », l’accusant d’être à des années-lumière des problèmes de banlieue que lui, parlementaire côtoyait chaque jour  dans sa circonscripition à Vigneux sur Seine….. « Je sais d’où je viens, pas comme vous » s’était-il étouffé.

Effectivement, Laurent Ruquier sait d’où il vient, même s’il n’y habite plus, mais on lui doit à présent de nous avoir fait connaître un autre homme politique, peu connu lorsqu’il l’invita à plusieurs reprises, il s’appelait Edouard Philippe, c’était le maire du Havre… Entre « pays » on peut bien s’entraider……