LES CEDRES QUE L'ON ABAT (Edito du 6 Août)
Ce mardi 4 Août 2020, vers 18h00, une double explosion d’une violence extrême s’est produite dans le port de Beyrouth, dévastant intégralement celui-ci ainsi que tous les quartiers environnants…laissant craindre une tragédie humanitaire : et ce fut le cas, au fil des heures : plus de 180 victimes, autant de disparus et près de 5 000 blessés et encore le bilan n’est que provisoire, sans oublier plus de 300 000 habitants devenus des sans-abris. Un désastre……
L’effet de souffle que les spécialistes comparent à un séisme de magnitude 3 a été ressenti à des kilomètres à la ronde et l’origine du drame a été rapidement identifié : une cargaison de 2 750 tonnes de Nitrate d’ammonium, se trouvait entreposée sans aucune barrière de sécurité dans un hangar du port, six ans après avoir été déchargée par un bateau Moldave !
Si les autorités locales ont qualifié de drame « d’accident industriel », il n’en demeure pas moins que ce comburant souvent utilisé comme base de nombreux engrais azotés doit être stocké avec les plus grandes précautions au risque de provoquer d’autres catastrophes : ce fut le cas à Toulouse, où l’explosion liée au même produit au cœur de l’usine AZF fit plusieurs victimes et ravagea un quartier de la ville…
Il est clair que la tragédie de Beyrouth surgit alors que le Pays du Cèdre connait déjà une grave crise économique, ce qui fait dire à certains que le Liban n’est plus au bord du « Gouffre : il est déjà tombé dedans ».
Quelques heures avant l’explosion, plusieurs manifestants protestaient contre les sempiternelles « coupures de courant » qui pourrissent le quotidien de nombreux libanais devant la compagnie d’Electricité, jugée par certains observateurs comme un gouffre financier et un temple du clientélisme…
L’économie est rongée par une monnaie en chute libre, une hyperinflation constante, une classe moyenne laminée, une poussée exponentielle du paupérisme (plus de la moitié de la population vivrait en dessous du seuil de pauvreté), sans oublier un chômage endémique… Bref, un état au bord de la faillite….
Il est loin le temps où le Liban était surnommé « La Suisse du Moyen-Orient » et Beyrouth, « Le Paris du Levant ». Entre son indépendance en 1943 et le début de la guerre civile en 1975, ce pays né après la première guerre mondiale et qui vécut sous Mandat Français (comme son voisin Syrien) connut une période de prospérité économique, se développant dans les secteurs du Tourisme, de l’agriculture et surtout des services (banques, assurances), attirant de nombreux investisseurs et des touristes et faisant figure de modèle pour ses voisins…. Mais comme chacun sait la « roue a tourné » du fait de la terrible guerre civile qui ruina le Liban entre 1975 et 1990.
La paix retrouvée, ce pays « mutilé » par des années de guerre, n’avait pourtant jamais baissé les bras et a retrouvé assez rapidement une nouvelle prospérité économique avec un accroissement sensible du niveau de vie et le retour des investisseurs et des touristes mais en 2006, du fait de la guerre Israélo-Libanaise, le pays est retombé rapidement dans l’incertitude et la récession.
Pays à part dans cette région du monde, avec 7 millions d’habitants dont plus de 2 millions sont des migrants, Le Liban terre d’accueil dans les périodes heureuses comme dans les plus sombres vit un cauchemar éveillé, subissant avec fatalité sa débandade économique mais également la faillite de ses institutions, politiques, sociales et financières, minées par la corruption, le clientélisme et surtout une incompétence de ses dirigeants, jugés grands responsables de tous les maux et catastrophes qui gangrènent le pays…
Ce régime démocratique et parlementaire mis en place après la guerre civile était censé apporter la concorde civile et une plus grande équité de représentativité des communautés (Chrétienne, Chiites, Druzes, Sunnites) est en fait dominé par le « clanisme » et les « querelles multiconfessionnelles » qui se divisent pour mieux régner mais anarchiquement …
Si un grand nombre de Libanais, sont encore sidérés par le drame, ils restent très en colère contre un système dont ils souhaitent majoritairement l’éradication, cependant l’heure n’est pas au règlement de comptes mais au début de la reconstruction qui sera longue et incertaine.
Il est clair que sans aide internationale, le pays ne pourra pas se relever de sitôt. La France qui entretient depuis de longues années des liens d'amitiés forts avec ce pays partiellement francophone a d’ores et déjà apporté son aide en envoyant sur place des équipes de secours (dont les marins-pompiers de Marseille)…
En outre, Emmanuel Macron a tenu à rendre visite à ses homologues libanais, pas uniquement pour tenter de « renforcer » la perte d’influence de notre pays dans cette région du monde mais également pour rappeler que l’aide internationale ne doit pas rester vaine, ce qui signifie que le pays ne fasse pas renaître de ses cendres cette oligarchie politico-financière corrompue qui a conduit le pays dans le mur mais plutôt à faire de chaque libanais un acteur de ce changement, sinon d’autres explosions et d’implosions risqueront de se produire…….
AUTANT EN EMPORTE L'HARMATTAN (Edito du 12/08)
En 1974, le réalisateur et ethnologue Jean Rouch réalisa avec deux amis : « Cocorico, Monsieur Poulet » une sorte de « road-movie » nigérien narrant les aventures joyeuses de trois compères, à bord d’une 2 CV, partis acheter des poulets dans la brousse afin de les revendre à bon prix en ville mais un certain nombre de mésaventures burlesques va donner beaucoup de piquant à leur voyage improbable….
Ce conte savoureux rendait alors hommage au Niger auquel le réalisateur Français était profondément attaché (il y mourra même accidentellement en 2004) mais aujourd’hui, ce pays vaste comme deux fois la France se trouve au cœur d’une des régions devenue l’une des plus dangereuses de cet immense continent africain, celle du Sahel.
La tragédie survenue dimanche dernier, dans le Parc des Girafes situé près de Kouré a couté la vie à huit personnes : six jeunes Français membres d’une ONG et deux Nigériens qui leur servait de guide et de chauffeur : ils ont été sauvagement assassinés alors qu’ils se trouvaient dans une des rares zones dites « sécurisées » d’un pays dont une grande partie du territoire est classée en « vigilance rouge ».
Aussitôt, les spécialistes de la région se sont déclarés surpris non seulement par cette attaque barbare mais également de par sa relative proximité avec une zone pour l’instant sanctuarisée : celle de la Capitale Niamey. Quant aux 1 500 expatriés français du pays, l’inquiétude voire l’angoisse ont monté de plusieurs crans….
Pourquoi s’en prendre à une poignée de « jeunes gens remarquables » (selon les dires du Président de la République Française) qui avaient décidé de mettre leur talent au service d’une cause qui leur était chère : celle de l’engagement humanitaire... ? Et qui ? Pour l’instant, la piste Djihadiste est privilégiée. Elle concerne ces groupes armés se déplaçant en Pick-up et dont le dessein est de rallier les habitants de ces territoires désertiques à leur cause tout en aspirant à chasser à jamais toute présence Occidentale des mêmes contrées.
Ces exécutions sanguinaires étaient-elles préméditées ou totalement improvisées par d’autres « bandits de grand chemin » ou « par des trafiquants » prompts à provoquer le chaos. Nul ne le sait vraiment….
Ce qui est certain, c’est l’implacable constat de l'inexorable progression de cette « vaste tâche d’huile du terrorisme » se réclamant d’un Islamisme radical et qui se répand au cœur de la région de l’Afrique Subsaharienne dont la cause trouve ses racines dans l’externalisation des conflits mal éteints de la Guerre civile en Algérie, dans la reconversion soldats perdus d’un Printemps arabe qui ne s’est pas passé comme prévu ou encore par la "boite de pandore" ouverte lors de la chute du régime Libyen de Kadhafi…..
90 % de la population nigérienne est Musulmane, dont la presque totalité est Sunnite mais la région est une terre d’Islam depuis de nombreux siècles, bien avant la période coloniale Française qui s’est déroulée de 1890 à 1960, date de l’indépendance….
Naguère intégrée à l’Afrique Occidentale Française, le Niger n’est pourtant pas un « électron libre » appartenant à présent au « G5 Sahel » » avec ses voisins Tchadien, Malien, Burkinabé et Mauritanie mais également à la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest qui ont adopté une nouvelle devise pour remplace le Franc CFA, ainsi qu’à l’Organisation de coopération islamique sans oublier le vaste espace Francophone….
Ce pays dont les frontières ont été dessinées par les colonisateurs comptent plusieurs ethnies : les Haoussas qui sont majoritaires et quelques grosses minorités tels les Peuls, les Zarmas ou les « Hommes Bleus », souvent appelés Touaregs qui ont troqué le nomadisme pour la sédentarité, l’ensemble tentant de cohabiter dans un pays dont le pouvoir reste le « maillon faible » au vu des nombreuses turbulences politiques, alternant entre démocratie (comme aujourd’hui avec le Président Issoufou qui va prochainement quitté le pouvoir) et dictature militaire naguère….
On le sait, l’histoire de la décolonisation n’a pas été un long fleuve tranquille comme l'était le Niger, les nouveaux états ont été rapidement été gangrenés par des régimes autoritaires et corrompus, souvent avec la complicité de la France (période de la « Francafrique ») et surtout par les rivalités ethniques.
Le Niger est pourtant arrivé à trouver à un relativement bon équilibre démocratique mais qui demeure fragile car ce pays subsaharien demeure un des pays les plus pauvres du monde malgré une bonne croissance économique mais où le taux d’analphabétisme est aussi très élevé, le taux de fécondité (l’un des plus élevés du monde : en moyenne 7,3 enfant/foyer) et le poids de la tradition et surtout de la religion (mariage précoce des jeunes filles souvent privées de scolarité) restent des facteurs propices au repli sur soi et à l’acceptation de toute forme d’obscurantisme .
La porosité des frontières, notamment au nord comme à l’ouest du pays facilitent l’intrusion de groupes armés formés en Libye et au Malin et qui se mélangent parmi la population pour mieux réussir à déstabiliser le régime en place…
A la tête de l’opération Barkane, la France demeure la seule véritable puissance militaire occidentale présente sur le terrain en étroite collaboration avec la coalition des pays du Sahel (mais qui ont de profondes divergences) permettant de freiner la progression des groupes terroristes comme Aqmi ou Boko Haram.
Certains observateurs demandent notre départ jugeant notre action vaine et sans réelle chance de succès tandis que d’autres avancent que…la seule raison de notre maintien dans la région serait la préservation de nos intérêts dans la production d’Uranium (exploitée notamment par Urano, ex-Areva) qui représentent plus de 60 % des recettes d’exportation du pays et de la protection de ses employés (après l’affaire des otages d’Arlit mais qui connut un dénouement heureux)
En fait, l’exploitation de ces mines à ciel ouvert commencent à s’épuiser, aggravée par la chute des cours au niveau mondial. Ce qui faisait du Niger « le deuxième producteur d’uranium du monde » après le Canada appartient au passé, et comme on l’a vu ce n’est pas le tourisme qui risque d’être progressivement proscrit qui pourra redonner de l’espoir….
Non, le fait de maintenir une présence militaire permet d’éviter la prise du pouvoir d’un groupe de fanatiques en guerre permanente qui ramèneraient toute cette région du Sahel plusieurs siècles en arrière, provoquant d’importants mouvements d’exode vers des contrées plus accueillantes, en l’occurrence l’Europe salvatrice que ces « guerriers de l’ombre » ont décidé de défier….
Leur volonté d’hégémonisme rappelle la course d’un vent sec et poussiéreux, dénommé l’Harmattan, venu du nord-Ouest du Continent et qui poursuit sa course à travers l’immensité du Sahara pour finalement se répandre dans le Golfe de Guinée, provoquant de gigantesques tempêtes de sable sur son passage qui rend la vie économique et humaine momentanément impossible….