JEAN PIERRE BACRI A TIRE SA REFERENCE, FAIS CH……

Pour Nathalie M., une fan de notre ronchon national....

 

Sa disparition, autant inattendue que brutale a suscité une vive émotion en ce début d’année teinté d’autant de morosité que d’espoir timide à pouvoir espérer retrouver une vie qui ressemblerait un « chouia » à celle d’avant, comme aurait proclamé en bougonnant l’anti-héros du jour, Jean-Pierre Bacri… Ce dernier aurait certainement dit « Putain, ce n’est pas vrai …fais chier, quelle année de m… » et cela nous aurait faire rire…mais aujourd’hui, le rire est plutôt jaune….

Il avait 69 ans et disparait des suites d’une longue maladie, comme on dit généralement et que ce râleur pudique n’a pas ébruitée, préférant la combattre courageusement comme l’a rappelé son médecin devenu un « complice » des joutes oratoires avec son patient qui souhaitait cependant être traité comme n’importe quel autre malade….

« Le spectacle continue » aurait encore t’il râlé, « on ne va pas faire toute la soirée sur moi » exceptionnellement on répondra par l'affirmative et même les suivantes pour rediffuser en hommage les quelques longs métrages de cet acteur et auteur majeur, les films-culte comme on dit encore. : « le goût des autres », « un air de famille », ou encore « le sens de la fête » son dernier film…de quoi se payer un bon moment de franche rigolade et de savourer un scénario toujours bien ficelé….

Il avait vu le jour en 1951, de l’autre côté de la Méditerranée, à Castiglione (aujourd’hui Bou Ismail), une station balnéaire située entre Alger et Tipaza, au cœur d’un territoire cher à Albert Camus, appartenant comme lui au « petit peuple pied-noir » et qui sera contraint à l’exil en 1962, au moment de l’Indépendance….

 Son père était facteur la semaine et ouvreur au cinéma de la ville le Week-End, ce qui permet au petit Jean-Pierre de découvrir les grands westerns comme « Règlement de comptes à OK Corral » sans se douter qu’un jour lui-même passerait du statut de spectateur lambda à celui d’acteur célèbre….

Mais dans cet instant présent, ce sera plutôt la « dernière séance » au cinéma de quartier de Castiglione car le départ la « métropole » est précipité comme pour près d’un million de pieds noirs ayant dû opter pour « la valise ou le cercueil » comme on dit à l’époque, alors ce sera direction Cannes : tiens, tiens, une ville indissociable du monde du Cinéma qui abrite le plus prestigieux des festivals du septième art…. Le jeune Jean-Pierre y passera les douze prochaines années de sa jeune existence avant de « monter à Paris » un beau jour de 1974 où il tente pendant une courte période de se frotter au milieu de la publicité….

Au lycée Carnot de Cannes, il s’imaginait devenir plus tard professeur de Français et de Latin, puis banquier mais pas du tout acteur comme il le confiera avec humour, à Pierre Tchernia lors d’un passage à son émission « Mardi Cinéma » en 1986.

C’est grâce à une copine (envers laquelle il éprouve quelques jolis sentiments) qu’il se rend par hasard à un cours de théâtre (le fameux Cours Simon puis ce sera Perrimony) et c’est la révélation : celui qui avait déjà l’ambition d’écrire, se découvre une nouvelle passion : les planches…. On connaît la suite…tout va s’enchaîner très vite, même s’il ne concrétise pas avec sa dulcinée du moment… « La femme de sa vie » arrivera un peu plus tard…

Il finit par « bruler les planches » ou en continuant à écrire, alternant le métier de comédien avec celui de dramaturge durant la fin des années 70, travaillant notamment avec le meilleur en scène Jean-Pierre Bouvier…

Sans délaisser le théâtre, il fait une première apparition télévisée dans les fameuses « enquêtes du Commissaire Maigret » avec Jean Richard puis cinématographique l’année suivante dans « Le Toubib » aux côtés de son idole de jeunesse, Alain Delon….

Mais il acquiert une certaine notoriété en 1980, en jouant le rôle d’un proxénète dans le « Grand Pardon » une sorte de « Parrain, version Pied-Noir » réalisé par Alexandre Arcady avec comme vedette Roger Hanin, Jean-Louis Trintignant, et une belle brochette de comédiens prometteurs, à l’instar de la vedette et du réalisateur, citons Gérard Darmon, Jean Benguigui, Richard Berry, Bernard Giraudeau, Anny Duperey et Clio Goldsmith, etc….

Les seconds rôles s’enchaînent par la suite sous la direction de Jean-Pierre Mocky, Claude Lelouch ou Jean-Marie Poiré, ce dernier le faisant tourner dans « Mes meilleurs copains » avec Gérard Lanvin, Christian Clavier et celui qui deviendra un complice dans l’avenir : Jean-Pierre Darroussin….

Mais c’est en 1986 qu’arrivent les premiers rôles, notamment dans « Mort un dimanche de pluie » un thriller inquiétant réalisé par Joel Santoni où il a pour partenaire Nicole Garcia et surtout « L’été en pente douce » de Gérard Krawzyck, qui remporte un grand succès public et ou ses partenaires sont Jacques Villeret et Pauline Laffont, tous les deux disparus prématurément….

Cette année 1986 est finalement un grand cru pour Jean-Pierre Bacri, qui commence à se faire « un nom au cinéma », dépassant en notoriété un autre « Bacri », Roland, avec lequel il n’a aucun lien de parenté, journaliste au « Canard enchaîné », parfois surnommé « Roro de Bab-El-Oued »….et c’est surtout en jouant sur les planches du Théâtre Tristan Bernard à Paris, la pièce « L’anniversaire «  d’Harold Pinter, mise en scène par Jean-Michel Ribes,  qu’il fait la connaissance de sa partenaire qui deviendra vite sa compagne : Agnès Jaoui….. On connaît la suite…

Agnès Jaoui est alors une jeune femme de 22 ans, elle nait effectivement en 1964 dans la banlieue Parisienne, issue d’une famille juive d’Afrique du Nord mais de Tunisie…elle grandit dans un milieu d’intellectuels, engagés politiquement à gauche, plutôt Sioniste et dispensant une éducation très libre…. Ancienne élève du lycée Henri IV à Paris, elle s’orientera très rapidement vers l’Ecole du spectacle des Amandiers de Nanterre dirigée par le « Maitre » Patrice Chéreau qui lui donnera d’ailleurs son premier rôle au cinéma….

Sa route va donc croiser celle de Jean-Pierre Bacri, de treize ans son aîné et au parcours déjà riche mais surtout d’assister à la genèse d’un couple aussi bien à la ville que sur scène qui vont écrire à quatre mains quelques joyaux du théâtre et du cinéma français…. Leur union sur la scène comme à la ville durera un quart de siècle, et après leur séparation en 2012, ils continueront à collaborer jusqu’en 2018 avec « Place Publique » d’ailleurs réalisé par Agnès Jaoui et où les deux acteurs jouent d’anciens conjoints réunis pour une bonne cause….

« Un couple en or » serait-on tenté de dire, aussi bien au sens propre que figuré, deux artistes singuliers faits pour se rencontrer, avec leurs différences mais surtout soudé par une grande complémentarité qui sera leur « force de frappe » : la « vis comica » de Jean-Pierre, le « client idéal » pour les émissions de radio-télé comme des cérémonies et le regard affuté d’Agnès derrière la caméra qui fait d’ailleurs de cette dernière la réalisatrice la plus primée du cinéma Français.

Leur duo aura à son actif un palmarès qui peut faire plus d’un de leurs confrères : deux pièces de théâtre, huit films en commun, ainsi que de nombreuses récompenses aux Molières et aux Césars, avec l’aval aussi bien du public que de la critique, ce qui comme chacun sait est loin d’être gagnée d’avance en France…

En ce qui concerne Bacri, sur les planches, il recevra le Molière de l’auteur pour "Cuisine et Dépendances " et celui du comédien pour son rôle dans « Les Femmes Savantes » . Au cinéma, il reçoit quatre fois le César du Meilleur Scénario Original et celui de Meilleur Comédien pour un second rôle pour « On connait la chanson » d’Alain Resnais…

Ce dernier sera d’ailleurs à l’origine du sobriquet « JABAC » contraction de Jaoui et Bacri, clin d’œil sympathique pour désigner ce couple indissociable de la qualité « made in France » …le binôme inspiré écrira d’ailleurs pour le réalisateur « d’Hiroshima, mon amour » les savoureux dialogues de « Smoking, no smoking » avec le tandem Arditi-Azéma

Jean-Pierre Bacri et Agnès Jaoui travaillent en « famille » aussi bien avec les réalisateurs : Philippe Muyl pour l’adaptation cinématographique de « Cuisine et Dépendances, que Cédric Klapisch et son cultissime « Air de Famille, et des acteurs : Jean-Pierre Darroussin, Vladimir Yordanoff, Jamel Debbouze, Jean-Paul Rouve…

Bacri le ronchon, le « râleur préféré des Français » comme il a été écrit lors de son éloge post-mortem, mais on sait que l’homme était bien plus complexe que ça, un homme droit et loyal, comme certains de ses proches l’ont rappelé.

Il avait la « tripe à Gauche » comme beaucoup d’artistes mais il se voulait être un esprit libre, éloigné de l’angélisme ou du politiquement correct et qui aimait dire parfois haut et fort ce qu’il pensait sur des sujets qui lui tenaient à cœur, quitte à ne pas plaire à tout le monde.

Interviewé par Darius Rochebin (journaliste vedette de la Télé Suisse Romande) qui l’interrogeait sur le fait qu’il pouvait incarner l’image du « Bourgeois Bohème » (Bobo), il rétorqua « je préfère être un Bourgeois bohème qu’un Bourgeois Réac » …

Il était comme ça, Jean-Pierre Bacri, l’homme qui souriait rarement (c’était son côté Sardou) mais qui n’en avait pas moins un esprit « pince sans rire » et qui avait probablement un don de sympathie inné, d’où cette popularité restée intacte auprès du grand public et jouissant d' une grande estime au sein la « corporation » des artistes qu’il n’hésitait jamais à défendre lors des « cérémonies », quitte à défier les ministres de tutelle en présence……

Comme disait son voisin et ami, Pierre Lescure : c’était un Epicurien, un homme qui aimait « bouffer la vie », gros clopeur, amateur de bonne bouteille, refaire le monde à la Pizzeria du coin et un « petit pétard » pour finir la soirée….

Le gamin d’Algérie (mais il n’était pas nostalgique de sa prime enfance, privilégiant plutôt l’instant présent, probablement, son côté Carpe Diem) est donc devenu une figure majeure de nos scènes et écrans (aujourd’hui en sommeil pour les raisons que l’on connait) et qui avait su trouver sa « bonne étoile », n’hésitant pas à rendre hommage à celle qui « avait permis » de l’atteindre, même si leurs doigts ne se croisaient plus. : Agnès Jaoui… Cette dernière lui renvoyant la politesse en disant lors de sa disparition qu’elle lui devait tant….

C’est certainement ce que l’on appelle « la force de l’amour »… Même s’ils se sont quittés, qu’ils n’ont pas eu d’enfants ensemble car notre bougon n’en ressentait pas le besoin (dommage, ils auraient assuré la relève du duo magique), ces deux là qui avaient de « la feuille » (traduction : qui savaient écrire de belles histoires) nous auront laissé quelques-unes des plus belles pages du septième art….

Mais aujourd’hui, le rideau s’est baissé pour Jean Pierre Bacri, l’homme qui n’aimait pas les héros et qui dirait probablement : ah, fais ch….. !