Valéry Giscard d'Estaing

 

3ème Episode

 

LA SOLITUDE DU POUVOIR

1976-81

 

 

Le Coup de Barre

 

VGE nomme Raymond Barre à l’hôtel Matignon en remplacement de Jacques Chirac démissionnaire en juillet de cette année 1976, marquant dès lors la « fracture » (pas encore sociale) entre les deux hommes, désormais animés par des luttes d’influences au sein même de la Majorité….

Le nouveau locataire de Matignon est alors âgé de 52 ans, il est celui que le Président surnomme « le meilleur économiste de France ». En outre, il n’est pas complètement inconnu du grand public puisqu’il faisait déjà partie du gouvernement précédent, où il occupait la fonction de ministre du Commerce extérieur….

Il présente l’avantage de ne pas être « un professionnel de la politique », en ignorant (pour l’instant) la plupart des us et coutumes (surtout les plus vicieuses), donc de ne pas faire de l’ombre à son nouveau « patron » ….

Issu d’une famille aisée de la Réunion, il fait ses études secondaires au Lycée Leconte de L’Isle de Saint-Denis, où il a pour condisciple (et concurrent pour l’obtention des premiers prix) le futur avocat Jacques Vergès.

Le nouveau Premier Ministre arrive en Métropole au lendemain de la Seconde guerre mondiale pour y achever des études de droit et de sciences économiques. Il entamera par la suite une longue carrière universitaire puis de haut-fonctionnaire au sein des institutions européennes avant de faire le « grand saut » dans les allées du pouvoir exécutif….

 

Un Quinquennat à Matignon

 

« Monsieur Barre » comme on ne va pas tarder à le surnommer (avant d’être « Lou ravi » selon le Canard Enchaîné) est un homme poli et respectueux des Institutions mais il a surtout été nommé pour entamer le « virage de la rigueur » après la « fièvre réformiste » des deux premières années du septennat.

Giscard le surnomme « le Joffre de l’Economie », une sorte de chef de guerre qui va d’ailleurs cumuler, c’est une première sous la Ve République, les deux casquettes de Chef du Gouvernement et Ministre de l’Economie et des Finances, du moins jusqu’en 1978….

Sa « feuille de route » est d’emblée tracée : réduction de l’inflation, rééquilibrage de la balance commerciale ou encore augmentation des investissements ...des thèmes qu’il reprendra d’ailleurs lors de son discours de politique générale présenté à l’assemblée nationale le 5 octobre 1976….

En outre, le nouveau Premier Ministre mettra en exergue le bouleversement du marché du travail survenu depuis la fin des Trente glorieuses, avec notamment l’arrivée croissante des femmes sur ce marché, ce qui constitue un point positif malheureusement contrarié par le refus de trop nombreux jeunes de s’orienter vers des métiers manuels et surtout une inadéquation entre l’offre et la demande provenant d’une mauvaise politique de formation…

L’homme rassure, surtout le Chef de l’Etat avec lequel, il entretiendra une relation harmonieuse durant les cinq années passées à l’Hôtel de Matignon et ce, malgré un contexte économique délicat et un climat politique de plus en plus tendu, marqué par la progression de la Gauche et les dissensions au sein même de la Majorité….

« L’Economiste » Raymond Barre forme son premier Gouvernement (Barre 1) qui a reconduit dans leurs fonctions les « valeurs sûres » du début du septennat :  Simone Veil, René Haby, Jean Lecanuet, Michel Poniatowski, Françoise Giroud, Jean-Pierre Soisson, Olivier Stirn, Jean-Pierre Fourcade qui passe cependant de l’Economie à l’Equipement ou encore Robert Galley…Il fait entrer plusieurs femmes d’expérience dans l’équipe gouvernementale dont Christiane Scrivener, future Commissaire Européenne ou encore Alice Saunier-Séité qui donner son nom à une loi sur la réforme des Universités…..

C’est également le grand retour du « Baron du Gaullisme » Olivier Guichard qui devient Garde des Sceaux, le remplacement du diplomate Sauvagnargues par le non moins diplomate Louis de Guiringaud au Quai d’Orsay ou la nomination de Robert Galley au Ministère de la Coopération… tandis que l’autre Robert (Boulin) hérite du poste stratégique de Ministre des Relations avec le Parlement…

Le nouveau Premier Ministre et le Président ont su faire un habile « saupoudrage » de ministres venus aussi bien du Gaullisme, que du Centrisme et bien sûr de la « Société civile » …  Ce savant dosage ne rentre pas en contradiction avec la conception purement « libérale » de Raymond Barre, qui annonce d’ailleurs, ce qui deviendra dans la décennie suivante : « Le Barrisme » plus proche de la Droite Orléaniste (avec des nuances, car plutôt d’essence Centriste) et très cousine de la future UDF que celle Bonapartiste prônée par le RPR…

Toutefois, Raymond Barre ne prétend pas être le nouveau chef de la Majorité Giscardienne, il s’inscrit plutôt dans la position de « l’expert » (entouré lui-même d’autres conseillers économiques), chargé du rééquilibrage budgétaire et de modérer la croissance de la masse monétaire, sans oublier de soutenir les exportations ainsi que les investissements…

Le « Super-Argentier » se veut le chantre du maintien du pouvoir d’achat et des rémunérations des ménages. En outre, il insiste sur un changement des mentalités : en préconisant le développement de l’esprit d’entreprise qui selon lui, conduira à l’émancipation et non pas à l’assistanat, générant des emplois stables et surtout durables…

Durant son passage à Matignon, Raymond Barre sera à l’origine de plusieurs « plans » pour lutter contre l’inflation, dans un contexte économique toujours aussi tendu, miné par une poussée exponentielle du nombre de chômeurs….

Le Premier Ministre cherchera toujours à juguler l'inflation, ce qui deviendra pour lui , comme pour ses successeurs le combat (parfoisf chimérique) pour la réduction des dépenses et du déficit public tout s’attaquant à la fraude fiscale et à ses méfaits….

Les gouvernements Barre 2 et 3 feront apparaitre de nouvelles têtes d’affiches : tel René Monory, qui deviendra d’ailleurs Ministre de l’Economie. Originaire d’une terre Centriste, la Vienne (à l’instar de Jean-Pierre Raffarin ou de la dynastie Abelin), celui qui deviendra Président du Sénat est plutôt atypique dans le paysage politique français : simple titulaire d’un CAP de mécanicien, il a fait ses humanités en gravissant tous les échelons que peut offrir une vie publique : mairie, conseil général et enfin le Sénat avant d’obtenir ce maroquin… ou encore d’autres nouveaux venus qui pour certains,  s’installeront durablement au cœur de la sphère politique comme Pierre Méhaignerie, Jacques Barrot, Jacques Dominati, Christian Poncelet (futur Président du Sénat), Joel le Theule (père politique de François Fillon, qui fut son assistant parlementaire) ou encore Antoine Rufenacht, futur Maire du Havre (qui intronisera son « dauphin », Edouard Philippe).

Cette « deuxième phase » du Quinquennat s’inscrit donc dans un nouveau cycle de « rigueur budgétaire », toujours d’essence libérale mais fermement opposé à un socialisme collectiviste et planificateur chère à « l’Union de la Gauche » qui tente de frapper de plus en plus fort à la porte du pouvoir…

Mais le Giscard jeune, prometteur et flamboyant, à la flamme résolument réformiste, prompt à casser les codes établis depuis le début de la Vème République tend à virer, selon les adversaires (de l’aile droite de la Majorité et de l’Opposition) vers une « solitude du pouvoir » hautaine, virant vers une « monarchie républicaine » …

Le chef de l’Etat se réserve ses domaines de prédilection que sont les Armées ainsi que les Affaires Etrangères…. Après avoir « réussi » un début de réconciliation avec l’Algérie lors de sa visite dans le pays en 1975, voilà qu’un an après, de nouvelles zones de tensions réapparaissent entre Paris et Alger concernant la question du Sahara Occidental, ce morceau de territoire, ancienne colonie Espagnole, partagée depuis entre le Maroc et la Mauritanie mais que combat un groupe armé séparatiste, le Front Polisario, soutenu par la Lybie et l’Algérie, tandis que la France livre une cinquante d’avions « Mirage » au Maroc….

Ce que l’on appellera la « Françafrique », ce « cordon ombilical » entre l’Hexagone et ses anciennes colonies n’est pas vraiment coupé depuis l’indépendance et le pouvoir Giscardien continuera ce « partenariat » économico-militaire, favorisant les « coups d’état » dans un Continent qui en a déjà connu beaucoup depuis les diverses indépendances, développant des relations étroites avec certains pays dotés de richesses naturelles (pétrole au Gabon, uranium au Niger, etc…).

Mais Giscard, c’est aussi l’homme de l’achèvement de la colonisation française, avec l’ancien Territoires des Afars et des Issas qui devient Djibouti en 1977 qui suit celle des Comores (à l’exception de Mayotte qui souhaitera restée Française) en 1975….

Il n’hésite pas cependant à « épauler » le Maréchal Mobutu au Zaïre (future RDC), pourtant ancienne colonie Belge pour lutter contre des groupes armés venus d’Angola et de Cuba, facteurs d’expansion Marxiste dans cette région du globe, en lançant et réussissant une opération militaire à Kolwezi en 1978.

Il « adoube » le président Centrafricain Bokassa dans sa volonté délirante de se faire sacrer « Empereur », envoyant même son ministre de la Coopération, Robert Galley assister au « Couronnement » de cet ancien sous-officier de la Coloniale, admirateur du Général de Gaulle et bien sûr de Napoléon.

Mais ce qui est jugé par l’Elysée comme une « Farce » va tourner court et le même Giscard contribuera à la chute de cet « Empereur » fantoche peu de temps après… sans se douter que « l’affaire des Diamants », relative à un « cadeau » (une plaquette de diamants) de Bokassa à Giscard, alors ministre des finances en 1973, révélé par le « Canard Enchaîné » pèsera lourd dans la non-réélection du président sortant en 1981….

Giscard apparaît pour certains comme un « nouveau gendarme de l’Afrique » envoyé en « service commandé » par son « Grand frère » Américain…Tandis que d’autres lui reproche d’entretenir néanmoins de bonnes relations avec Moscou et ses pays satellites…

Le chef d’Etat Français, a contrario de ses homologues alliés, ne condamnera que très tardivement l’invasion Soviétique en Afghanistan en 1979, rencontrant même Brejnev à Varsovie, ce qui lui vaudra l’attribut peu flatteur de « petit télégraphiste de Moscou ».

Il ne boycottera pas non plus les JO de Moscou qui se dérouleront l’année suivante, marqués par l’absence d’un certain nombre de pays, dont les USA (les Soviétiques rendront la pareille lors des JO de Los Angeles en 1984). Il entretiendra de bonnes relations également avec le dirigeant Polonais, Edward Gierek, ancien mineur dans le Pas de Calais et en Belgique.

C’est également la chute du Shah d’Iran (avec lequel Giscard entretenait des relations amicales) qui voit l’Ayatollah Khomeini, alors réfugié en France à Neauphle-le-Château (Yvelines) retourner dans son pays pour prendre la tête de la Nouvelle République Islamique…sans oublier les premiers soubresauts…en Pologne, avec la grève dans les chantiers navals de Gdansk, où un ouvrier électricien, Lech Walesa et son syndicat « Solidarnosc » défie le pouvoir communiste, avec comme allié son compatriote le Pape Jean Paul II…

 

Un air de Cohabitation

 

Au printemps 1978, c’est la première fois dans l’histoire de la Vème République que l’on va évoquer l’hypothèse d’une « cohabitation » ... La Gauche socialo-communiste a fait une « percée » très sensible lors des cantonales de 1976, s’emparant de plusieurs présidences de département notamment dans l’Essonne et le Val de Marne …

C’est surtout avec les Municipales de 1977 qui ont vu de nombreuses grandes villes basculer de Droite à Gauche : Reims, Montpellier, Rennes, Saint-Etienne (entrainant la démission du gouvernement de Michel Durafour, battu par un candidat communiste, Joseph Sanguedolce), Poitiers, Brest et Angers….

Sans oublier les nombreuses villes de plus de 30 000 habitants dont les nouveaux élus portent les couleurs du PC et du PS réunies sous la bannière « Union de la Gauche » : La Roche sur Yon, Alençon, Créteil, Athis-Mons, Angoulême, Châlons sur Marne, Mantes la Jolie, Cherbourg, Le Creusot, Beauvais, Chartres, Dreux, Poissy, Bourges, Epinal, Aurillac ou Meaux….

Mais la vague socialo-communiste atteint également des agglomérations plus petites, notamment dans l' Essonne, où le PS s'empare d'Evry, de Chilly-Mazarin, d'Etréchy, de Montgeron, de Yerres,de la nouvelle ville des Ulis, etc...tandis que le PC conquiert Etampes, Vilebon sur Yvette ou Epinay-sous-Sénart....

Cependant, le fait le plus marquant de l’élection sera celle du « Premier Maire de Paris » la première réelle depuis la Révolution. Dès lors, il n’y avait eu qu’un président du Conseil Municipal (avec cependant des maires d’arrondissement élus) et ce siège est aussi nouveau que convoité.

La carte électorale est de facto modifiée : il y aura dix-huit maires d’arrondissement à élire ainsi que deux maires de secteurs (1er et 4e, 2e et 3e)

L’Elysée compte bien voir élu Michel d’Ornano, un des plus fidèles porte-étendard de la Giscardie qui a pris personnellement le risque de quitter son « fief » indéboulonnable de Deauville pour partir à l’assaut de la Capitale. Face à lui, le Communiste Henri Fiszbin, l’Ecologiste Brice Lalonde avant que n’apparaisse dans le paysage Jacques Chirac, poussé par ses deux conseillers influents : Pierre Juillet et Marie-France Garaud…

Le Député de Corrèze va donc affronter celui qui fut son Ministre de l’Industrie entre 1974 et 1976 et le résultat sera sans appel : Michel d’Ornano subit une cruelle défaite, n’obtenant finalement que 13 % des suffrages, n’étant d’ailleurs pas élu dans le 18ème arrondissement où il était candidat tandis que Jacques Chirac frôle la majorité absolue et  triomphe dans 13 des 20 arrondissements et secteurs, essentiellement situés au sud et à l’ouest de la Capitale tandis qu’Henri Fiszbin fait un bon score de 37 % , s’imposant dans les arrondissements populaires de l’Est Parisien…

Malgré son revers, Michel d’Ornano restera au gouvernement jusqu’en 1981 et retournera comme « Duc de Normandie » sur sa terre du Calvados, dont il restera Député et Président du Conseil Général, conscient d’avoir d’avantage le « pied marin » sur les Planches de Deauville que la propension « à mordre la poussière » sur le bitume Parisien….

Jacques Chirac s’installe pour 18 ans à l’Hôtel de Ville sans pour autant abandonner sa circonscription de Corrèze, ces deux mandats qu’il finira par quitter en 1995 pour cause…d’élection à la Présidence de la République…

Mais à la veille des Législatives de Mars, on parle surtout de Michel Rocard pour occuper le poste de Matignon, beaucoup d’observateurs étant persuadés, à tort, que François Mitterrand avait dès lors son « avenir politique derrière lui ».

Rocard est un transfuge du PSU rallié au PS en 1974, à la tête du « Courant » dit « Rocardien ».  Fils d’un physicien réputé, Michel Rocard choisit la voie de Sciences po (où il côtoie Jacques Chirac) et de l’ENA, après avoir opté pour l’Inspection des Finances.

Il s’est fait connaitre comme candidat à la présidentielle de 1969, sous les couleurs du PSU puis en ayant battu l’ancien Premier Ministre Couve de Murville, lors d’une législative partielle dans les Yvelines, la même année…

Député-Maire de Conflans-Sainte-Honorine, il est considéré comme une « formidable machine intellectuelle », une sorte de « Giscard de Gauche », d’ailleurs certains esprits narquois ne tarderont pas à le surnommer « Rocard d’Estaing » ….

Malheureusement pour l’Union de la Gauche qui se fissure à cause de nombreuses divergences, voit ses rêves de Cohabitation s’effondrer peu après la défaite aux législatives de ce printemps 1978 mais Michel Rocard finira par accéder à l’Hôtel Matignon, dix ans plus tard, nommé par son meilleur « ennemi » François Mitterrand….

  

CREATION DE L’UDF

 

Afin de parer à l’irrésistible ascension du RPR, autant allié que rival et surtout non dénué d’intentions funestes (comme on pourra le constater en 1981) et surtout à la « poussée » réelle d’une Gauche qui a (presque) réussi l’union pour espérer inquiéter une droite « indéboulonnable, l’Etat-Major Elysée a donc eu l’idée de « fédérer » tous les partis allant de la droite non Bonapartiste (entendez le RPR) et tous les petits partis allant du centre droit au centre gauche…. Ce sera donc l’UDF….

Une union large composée du Parti Républicain (émanation des Républicains Indépendants, qui vient d’être créé par Jean-Pierre Soisson et Michel Poniatowski), le CDS (Centre des Démocrates Sociaux présidé par Jean Lecanuet), les Clubs Perspectives et Réalités, le Parti Social-Démocrate (marqué à gauche au départ mais qui a refusé l’union de la Gauche, avec notamment André Santini), les Adhérents directs sans oublier les Radicaux-Valoisiens, issu de la Scission du Parti Radical-Socialiste en deux mouvements : les Valoisiens et le MRG qui lui a rejoint les bancs de l’Union de la Gauche…les deux composantes du plus vieux parti de France, né en 1901….      

Comme nous l’avons vu auparavant, c’est Michel Pinton, qui sera le « grand architecte » de cet édifice fédérateur qui n’est rien d’autre qu’une « machine de guerre électorale » en vue de la Présidentielle de 1981….

Jean Lecanuet, Maire de Rouen et ancien candidat en 1965 deviendra le premier Président de l’UDF et qui le restera plus d’une décennie… La nouvelle formation fait une première percée remarquable lors des premières élections européennes de 1979 avec une liste présidée par la très estimée Simone Veil….

Michel Pinton, devenu Délégué général claquera pourtant la porte cinq ans plus tard. Il tentera alors de se frotter au suffrage universel lors des municipales de 1983 à Dourdan (Essonne) et aux cantonales de 1985 mais dans les deux cas de figure, il échouera face au socialiste Yves Tavernier…. Bien plus tard, il finira par être élu dans sa ville natale, Felletin (Creuse) entre 1995 et 2008….

Raymond Barre, quant à lui, rejoint cette nouvelle Majorité Présidentielle et se lance dans la première campagne électorale en se présentant aux législatives : il choisit Lyon et son 6ème arrondissement cossu et où il sera facilement élu (avant de devenir Maire de la Capitale des Gaules en 1995).

Pendant ce temps, Jacques Chirac continue à « pilonner » cette union de façade entre le RPR et l’UDF, dénonçant même la « politique antinationale » d’une Europe fédérale, notamment prônée par ce qu’il appelle « le parti de l’Etranger » visant directement l’UDF en vue des   premières élections Européennes au suffrage universel organisées en 1979. Ce sera le fameux « Appel de Cochin » où l’ex Premier Ministre est hospitalisé, à la suite d’un accident de la route survenu en Corrèze….

 

Morts suspectes

 

Le septennat de Valéry Giscard d’Estaing sera également marqué par une succession de morts suspectes affectant plusieurs membres de la Majorité et dont les enquêtes n’ont jamais été résolues jusqu’à présent : l’assassinat de Jean de Broglie le 24 décembre 1976, ancien négociateur des Accords d’Evian, abattu devant le domicile de son conseiller fiscal, Pierre de Varga, au passé sulfureux et qui aurait impliqué dans des affaires troubles le député de l’Eure….

Joseph Fontanet, ancien Ministre de Georges Pompidou est abattu en pleine rue, alors qu’il venait de donner une conférence. L’enquête ne saura déterminer s’il agit d’un règlement de comptes ou d’une simple erreur sur la personne. Cette mort violente et inexpliquée intrigue d’autant plus que ce Centriste historique n’avait jamais été impliqué dans un quelconque scandale qui faisait les choux gras des écuries de la Vème République…

Mais c’est bien sûr la mort suspecte de Robert Boulin qui va marquer les esprits, d’autant que le Député-Maire de Libourne est alors Ministre du Travail en exercice du gouvernement Barre, lorsqu’il sera retrouvé mort aux abords d’un étang de la forêt de Rambouillet le 30 octobre 1979. L’enquête conclura plus tard à son suicide lié à une probable implication dans une transaction immobilière irrégulière…. Mais rapidement, des soupçons de « meurtre » apparaissent, insinuant un sordide règlement de compte politique, une guerre interne au sein de l’appareil RPR et la famille du Ministre défunt a toujours contester la thèse du suicide, jugé sans fondements…

 

 

La solitude du Monarque et Diamants sur Canapé

 

Pourtant, le Valéry Giscard d’Estaing de 1980, malgré les mauvais résultats économiques, la poussée d’un chômage endémique et sa perpétuelle image de « monarque républicain » qui a tourné le dos à son réformisme prometteur et séduisant du début du septennat est à peu près persuadé d’être réélu en 1981, il n’est pas le seul à le penser, puisque les sondages lui sont favorables…

A gauche, François Mitterrand est de plus en plus considéré comme un « has been » et la « désunion de la gauche » à savoir l’alliance entre le PS, le PC et le MRG n’est plus qu’une alliance de « façade » : les divergences n’ont cessé de s’amplifier entre les « Roses » et les « Rouges » tandis que le troisième élément, le Radical de Gauche, Robert Fabre est parti proposer ses services à l’actuel chef de l’Etat (qui le nommera d’ailleurs Médiateur de la République) !...

Mais on le sait, en politique, le vent peut tourner brusquement et voir le « favori » des sondages mordre dans la poussière. C’est « l’affaire des diamants de Bokassa » dont nous avons déjà parlé plus haut et dans laquelle le chef de l’Etat va beaucoup trop tarder à réagir face aux attaques insistantes de la Presse et bientôt de l’opposition qui n’en demandait pas tant…

Jacques Chirac qui ambitionne de se présenter à l’élection, ce qui signifie d’affronter celui dont il fut le Premier Ministre commence, grâce à des manœuvres souterraines à rendre probable la non-réélection de Giscard…

Au fil du temps, François Mitterrand, après avoir « neutralisé » son éternel adversaire Rocard peut prétendre non seulement pouvoir revenir au premier plan mais cette fois-ci prendre sa revanche sur 1974.

Mais si à droite, Giscard se voit contraint d’affronter Chirac, à gauche, Mitterrand devra batailler ferme contre Georges Marchais, le leader Communiste, qui reste encore la « force vive » de l’opposition, même si elle a commencé à amorcer son déclin au beau milieu des années 70.

L’élection doit avoir lieu les dimanche 26 avril et 10 mai 1981. D’autres candidats seront déclarés officiellement, outre les autres déjà cités :  six exactement : Arlette Laguiller (Lutte Ouvrière) déjà présente en 1974, Michel Crépeau, maire de la Rochelle et leader des MRG, l’écologiste Brice Lalonde, Huguette Bouchardeau (du PSU, situé à la gauche du PS, qu’il finira par rejoindre) sans oublier deux « électrons libres » de la sphère gaulliste : l’ancien Premier Ministre, Michel Debré et l’Ex-Eminence grise de Jacques Chirac, Marie-France Garaud….

Durant la pré-campagne, on se souviendra de l’annonce de la « Candidature » de Coluche qui finira à affoler les états-majors aussi bien à droite qu’à gauche, tant l’humoriste, alors au fait de sa gloire médiatique est crédité d’un score enviable : plus de 15 % des intentions de vote mais la « farce » va tourner court. Victime de nombreuses pressions, l’amuseur public numéro un finit par jeter l’éponge, soulageant de facto les grands appareils politiques.

Deux absents de marque seront à signaler alors qu’ils étaient présents lors des précédents scrutins : le Trotskyste Alain Krivine et le leader du Front National (à l’audience alors confidentielle), Jean-Marie Le Pen qui n’ont pu obtenir le nombre de signatures suffisantes pour pourvoir concourir….

La campagne sera rude au 1er tour, surtout entre les deux composantes de la majorité sortante ainsi qu’entre un Georges Marchais très agressif qui soupçonne François Mitterrand de faire le jeu de « la droite » afin de l’éliminer…

Au soir du 1er tour où le taux de participation est élevé : plus de 80 %, c’est Valéry Giscard d’Estaing qui arrive en tête, avec 28% des suffrages devançant François Mitterrand, avec 25%.  Jacques Chirac arrive troisième avec 18% suivi de Georges Marchais avec 15 %, tandis que les « petits candidats » récoltent les miettes restantes : A noter cependant le bon score de Brice Lalonde qui flirte avec les 4 %, permettant au futur Ministre de devancer ses adversaires dont Laguiller et Crépeau avec un peu plus de 2%, alors que les Bouchardeau, Debré et Garaud peinent à dépasser les 1 %.

François Mitterrand est aussi confiant que Valéry Giscard d’Estaing est inquiet. Le candidat socialiste aidé par une efficace campagne de communication menée par Jacques Séguéla et son slogan « la Force tranquille » est soudain plus porteur que « il faut un président à la France » de l’équipe VGE, évoquant plutôt un « Giscard coup de barre ».

Le débat de l’entre-deux-tours penche réellement en faveur du leader de l’opposition qui a su corriger les erreurs de 1974, où il fut taxé « d’homme du passé » par un Giscard dominateur, lui rendant la politesse sept ans plus tard en le décrivant comme « l’homme du passif » et cela fait mouche.

Néanmoins, les jeux restent ouverts, un débat ne faisant pas tout (sauf en 2017 entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen), malheureusement pour le candidat sortant, les reports de voix en sa faveur feront défaut : le RPR, manœuvrant en sous-main pour faire échouer le sortant va arriver à ses fins, malgré le « timide » soutien de Jacques Chirac qui annonce « voter à titre personnel pour Monsieur Giscard d’Estaing ». Tout est dit.

A gauche, la désunion et les critiques ne sont plus de rigueur, Georges Marchais et tous les autres candidats appellent clairement à voter pour François Mitterrand afin de faire « barrage à la Droite »….et surtout de permettre à la Gauche de renouer avec la victoire, cette inconnue depuis 1958….

 

Echec et Mat

 

Le dimanche 10 mai 1981 à 20h00, le visage du nouveau président de la République apparait sur les écrans : au départ, le déroulé laisse apparaitre un large front dégarni laissant quelques incertitudes mais qui seront très rapidement dissipées : c’est François Mitterrand qui est élu président de la République avec 51.5 % des suffrages.

Une première sous la Ve République et donc la fin d’une malédiction : après 23 ans de cure d’opposition, la Gauche arrive au pouvoir… Pour le « peuple de Gauche » c’est une explosion de joie promettant une « soirée » de folie digne d’une victoire en Coupe du Monde…. A droite, on le devine, c’est la consternation (y compris chez les « complotistes » du RPR). A 55 ans, celui qui fut sept ans plus tôt le plus jeune Président devient subitement le plus jeune retraité dans la fonction….

On entendra dans toutes les rues « on a gagné, on a gagné », à Paris, on fêtera cet évènement historique toute la nuit. Certains diront même « C’est le début de la lumière, la fin de l’ancien régime », se croyant probablement revenus en 1789.

La passation de pouvoir entre l’ancien et le nouveau président se fera dans la semaine. Une semaine qui sera cruelle pour VGE qui ratera complètement sa sortie, d’abord par son intervention télévisée d’adieu où il lance un « au revoir » plein d’émotion, suivi de son départ pathétique face à la caméra : un instant devenu cultissime depuis…. Ainsi qu’une sortie de l’Elysée sous les sifflets de militants indélicats .. Dur, dur….

Mais l’ancien Président, aussi abattu soit-il à cet instant présent ne compte certainement pas se « retirer de la vie politique » car celui qui était « programmé pour gagner » compte à présent rebondir et prendre sa revanche sur ce qu’il considère comme une injustice : celui qui fut un grand réformateur constate (et le constatera jusqu’à la fin de ses jours) qu’il fut également un « incompris »….A suivre….

 

POUR LIRE LES EPISODES PRECEDENTS, CLIQUEZ SUR LES LIENS :

27. Févr., 2021

C'ETAIT VGE OPUS 1

1er Episode: De Coblence à l'Elysée, itinéraire d'un enfant gâté

27. Févr., 2021

C'ETAIT VGE OPUS 2

2ème Episode: Le Réformiste Eclair

2. Mai, 2021

C'ETAIT VGE OPUS 4

4ème Episode: Le Deuxième Souffle