MADE IN JAPAN (Edito du 6 Août 2021)

Philippe Dupont

 

Ce 6 août 2021, à 8h15 précises, toutes les cloches ont sonné à Hiroshima, marquant ainsi le souvenir de la première explosion atomique qui avait anéanti cette ville il y a tout juste soixante-seize ans ….

Une commémoration organisée afin que nul n’oublie. De toute façon, comment pourrait-on oublier cette journée tragique du 6 août 1945, surtout les quelques survivants et leurs familles qui étaient peu présents à cette cérémonie du souvenir pour cause de crise sanitaire, mais ayant gravé dans leur mémoire l’image d’une ville prospère quelques secondes plus tôt et qui devint un vaste champ de ruines, un paysage devenu apocalyptique, ensevelissant à jamais sous les décombres des milliers d’habitants… ?

On se souvient également qu’une semaine plus tard, une nouvelle explosion frappa la ville de Nagasaki avec la même physionomie de fin du monde et les mêmes souvenirs douloureux à partager… On se rappelle encore que cela contribua à la capitulation du Japon, engagé aux côtés du IIIème Reich dans le deuxième conflit mondial….

Désormais, Hiroshima se veut une ville qui rythme avec le mot « Pacifisme » même si le souvenir de la tragédie reste gravé ad vitam aeternam dans toutes les mémoires…

Aujourd’hui, dans un pays où l’organisation des Jeux olympiques prévus en 2020 et finalement reportés en 2021 (une première dans l’histoire des JO modernes) a été sujet à de nombreuses polémiques : 80 % des 125 millions d’habitants que comptent le « Pays du soleil Levant » étaient hostiles au maintien de cette compétition.

En effet, le maintien de la tenue des jeux étant jugé irresponsable voire  dangereux , en plus d’être taxé » de devenir « les jeux les plus chers de l’histoire », en témoigne le cahier des charges ayant doublé depuis l’attribution des jeux accordée Tokyo (la 2ème depuis 1964) : passant de près 7 milliards d’euros au double, mais c’est vrai que le report de cette manifestation liée à la crise sanitaire a fini par rendre la note toujours plus salée sans oublier que les retombées économiques ont été très largement revues à la baisse, du fait de l'absence des spectateurs étrangers !...

On peut également évoquer une nouvelle polémique liée au refus du CIO de faire une minute de silence en l’honneur des victimes des deux villes martyres précédemment citées….

Toutefois, l’Empire n’a pas voulu « capituler » et organiser tant bien que mal des jeux olympiques dont un nombre croissant d’observateurs commencent à douter de l’opportunité : outre l’aspect financier dispendieux, les insinuations de corruption ou le dopage semblent être à l’opposé des idéaux prônés à l’origine par le Marquis de Coubertin….

Mais il reste en arrière-plan, le joli symbole des Jeux olympiques : celui de la réunion de plus de 11 000 athlètes venus de la plupart des pays du monde et dont ce rendez-vous quadri annuel reste l’occasion d’une vie, celle de connaitre sinon la consécration, peut être la fierté d’y avoir participé, avec de la sueur et des larmes face aux drapeaux flottants des nations représentées….

Dans un monde incertain, cette quinzaine, quelles qu’en soient ses conséquences, aura au moins réussi le pari de faire partager la joie ou la déception des « dieux du stade » et de constater que la flamme olympique, symbole d’espoir n’a pas envie d’être éteinte de sitôt au risque de disparaitre dans les oubliettes d’une histoire commencée depuis l’Antiquité….

 

LES CERFS-VOLANTS DE KABOUL (EDITO DU 23/08

 

Vingt ans après…

Non, il ne s’agit pas de la suite des « Trois mousquetaires » mais plutôt du retour au pouvoir des Talibans en Afghanistan, tout juste deux décennies après en avoir été chassé par la coalition internationale menée par les Etats-Unis….

Retour en arrière : 2001, fut une « Anno horribilis » avec l’assassinat du Commandant Massoud, « le lion du Panshir » suivi deux jours plus tard par l’effondrement des deux tours du World Trade Center et le début de la longue traque contre Ben Laden, auteur des méfaits et que les Talibans refusaient de livrer…

Entre 1996 et 2001, ces « fondamentalistes » dont la très grande majorité est d’origine Pachtoune (l’ethnie majoritaire dans ce pays d’Asie centrale) mirent en place un régime de terreur au cœur de ce pays plus grand que la France, peuplé de près de 40 millions d’habitants : application rigoureuse de la Charia, fermeture des écoles, suppression de nombreuses libertés individuelles et des loisirs (cinéma, musique, et même les cerfs-volants) sans oublier bien sûr le sort tragique qui fut réservé aux femmes.

Dans les deux décennies qui suivirent, la coalition permit de façon quelque peu chaotique l’instauration d’une République Islamique modérée, un retour à une vie sociale plus apaisée et le soutien logistique des armées alliées… Mais la période ne fut pas pour autant, un long fleuve tranquille dans ce pays sans façade maritime, loin de là….

La guerre contre un ennemi certes provisoirement chassé mais qui n’en avait pas pour autant baisser les armes, se promettant même de reconquérir un jour son « Emirat perdu », ce qu’il recommença à faire lentement mais surement jusqu’à ce 15 août 2021 où il a pu rentrer triomphalement dans Kaboul sans opposer la force et provoquant la fuite de l’actuel président Ghani qui s’est fendu d’un laconique « les Talibans ont gagné » ….

L’histoire ne se répète peut-être pas mais elle bégaie très certainement…Les vainqueurs d’hier ont ainsi dû « capituler », impuissants à éradiquer ce « retour vers l’enfer ».Certes les Américains rétorqueront qu’ils avaient l’intention de « quitter les lieux dès septembre, au vu d’une mission qu’ils jugeaient accomplie » mais déjà les critiques ont fusé en direction de Joe Biden, accusé de s’être « précipité » dans ce désengagement, permettant de facto de laisser le « champ libre » aux futurs conquérants face à une armée Afghane aussi peu vaillante que défaitiste…

A présent, les nouveaux maîtres de l’Afghanistan contrôlent la quasi-totalité de la Capitale, à l’exception de l’Aéroport international où l’on a pu assister à la mise en place d’un véritable « pont aérien » afin de rapatrier le « maximum de monde possible » mais dans une ambiance de panique voire de chaos qui avait des faux airs de « chute de Saigon » en 1975 même si le contexte est bien différent….

La panique et la détresse d’une population effrayée à la perspective de « retourner en arrière » sans oublier bien sûr l’amertume des soldats de la coalition, tels les Français qui ont vu 89 des leurs « tomber au Champ d’honneur » auront pu soupirer « tout ça, pour ça ».

Emmanuel Macron est rapidement intervenu pour rappeler que la France se devra de rapatrier le plus tôt possible nos ressortissants mais également les Afghans qui ont aidé notre pays (guides, interprètes) et qui risquent à présent des représailles de la part des « vainqueurs de Kaboul ». Ces derniers risquant de provoquer un « exode massif » de la population vers les pays voisins mais bien sûr vers l’Occident…

Dans cette perspective, l’opinion française a pu se diviser en deux camps : celui des « partisans d’un accueil massif », l’autre d’un droit d’asile limité et répondant à des critères d’« humanisme »… On devine que la réponse apportée sera entre les deux….

Pendant ce temps, les Talibans cherchent une « reconnaissance internationale » voulant justifier leur « retour aux affaires » par la déliquescence d’un pouvoir « fantoche », corrompu et à la tête d’un pays divisé et aux rivalités ethniques très fortes et d’insister sur le fait que « le taliban nouveau » n’a rien à voir à celui des années 2000 : il est à présent « connecté », se veut plus ouvert, affirmant ne pas vouloir « faire de chasse aux sorcières » , d’accorder plus de droit aux femmes et surtout conscient que « Kaboul » est une ville cinq fois plus importante qu’il y a vingt ans, du fait de l’exode rural  et dont les mentalités sont bien différentes de celles des provinces éloignées…

Malgré une conférence de presse qui se voulait rassurante confirmant leurs intentions, peut-on vraiment les croire ? Rien n’est moins sûr : passée la fin des « évacuations » sur l’aéroport de Kaboul, il est à craindre que les « méfaits » d’hier connaissent une grosse piqûre de rappel, et en outre accompagnés des « variants » : les Talibans, naguère trafiquants de drogue, spécialistes des guérillas avec le soutien du Pakistan pour mater tous les éléments réfractaires (Panshir, régions du sud)  et promoteur de l’Impôt Islamique savent que le pays est riche en « minerais » qui attisent la convoitise des Chinois qui apportent en plus un soutien appuyé notamment dans la lutte contre l’Etat Islamique (qui comporterait des Ouigours dans ces troupes), mais n’oublions pas la proximité feutrée avec l’Arabie Saoudite et les Emirats Arabes Unis.

Pendant ce temps, une timide résistance tente de s’organiser : on a vu le fils du Commandant Massoud écrire une lettre au Président Macron pour supplier les occidentaux de ne pas tourner  trop vite  la page de cette « tragédie afghane » mais cela suffira-t ’il à alerter les « consciences » ?, une fois de plus, rien n’est moins sûr : ce conflit onéreux et finalement stérile dans lequel ils se sont embourbés  et la hantise de grandes migrations peuvent détourner un Occident devenant sourd à la « grande peur » dans la montagne Afghane et que la vision de cerfs-volants errant dans le ciel en quête de liberté peut paraître dérisoire….