Philippe DUPONT

 

CAUCHEMAR EN CUISINE

 

Editorial du 6 mai

 

 

On ne sait pas s’il y croit vraiment mais en tout cas il peut jubiler, Jean-Luc Mélenchon, le « Troisième homme » de la Présidentielle : l’éternel trublion de la Gauche Radicale a indéniablement réussi à réaliser son pari : ressusciter « l’Union de la Gauche » en vue des législatives du mois de juin et de s’en approprier le leadership, non sans une certaine jouissance, prenant dès lors sa revanche sur cette gauche non radicale qui l’ostracisait il y a encore peu de temps…

Mais le Député des Bouches-du-Rhône a su profiter des difficultés électorales et financières de ses (désormais) alliés, en l’occurrence le Parti Communiste, les Verts et à présent le Parti Socialiste (même si pour ce dernier, cela s’est fait aux forceps et non sans une violente opposition des « Eléphants ») pour leur faire prêter allégeance à son programme en posant un genou à terre… Un choix léonin pour certains mais de raison pour d’autres….

Néanmoins,  en leur faisant miroiter qu’avec une telle alliance « arc en ciel » (y incluant même le NPA de Philippe Poutou, mais on le sait : lui, le pouvoir ne l’intéresse pas, car son dada c’est plutôt la Révolution), chacun d’entre eux peut espérer « reprendre des couleurs », c’est-à-dire sauver des circonscriptions voire même en gagner un certain nombre tout en devenant les futures composantes d’une Majorité de contre-pouvoir à Emmanuel Macron et l’expression de la  consolidation d’un barrage à sa concurrente Marine Le Pen…..

On l’a vu, Jean-Luc Mélenchon s’est auto-proclamé futur « Premier Ministre de cohabitation » au soir du 2ème tour et il s’est mis en tête d’amener à la victoire cette fameuse « Union Populaire » qu’il aime bien assimiler au « Front Populaire » né un beau jour du mois de mai 1936 ou au « Programme Commun » de 1972.

Mais pour l’instant,  il ne doit pas oublier malgré sa fougue communicative qu’il est vraiment loin du compte pour espérer atteindre le seuil fatidique des 289 Députés qui permet d’ obtenir la Majorité absolue : actuellement, 17 députés étiquetés « La France Insoumise » siègent au Palais-Bourbon, soit 2 de plus que le Parti Communiste mais 8 de moins que les Socialistes tandis que les Verts avec leur 0 pointé sont absents de l’Hémicycle, soit un total de soixante !

Quand on sait que le vainqueur de l’élection, en outre réélu (même dans les conditions particulières que l’on sait) bénéficie de facto d’une dynamique capable de lui assurer à minima une majorité relative, il est clair que la tâche de cette nouvelle « Union de la Gauche » malgré les talents de tacticien de Jean-Luc Mélenchon s’avère titanesque .

Dans les faits, il ne peut espérer que contrarier la volonté hégémonique des désormais ex-Marcheurs et à leurs alliés, rebaptisés pour la circonstance « Renaissance » car les dissensions, notamment celles apparues au grand jour entre Emmanuel Macron et son ancien Premier Ministre Edouard Philippe, prouvant une fois de plus les fondations de cette majorité sortante restent assez fragiles….

Malgré cela, depuis le début de la Vème République, les élections législatives ne donnent jamais la même représentativité qu’à l’élection présidentielle :  à titre d’exemple, le  beau score de 22 % du « Lider Maximo » est trompeur car pas forcément applicable à l’échelle locale : le vote « utile » opéré au niveau national peut se transformer en repoussoir au niveau local car l’enjeu y est totalement différent, certains électeurs  pouvant être effrayés par la ligne idéologique et s’orienter par défaut vers un candidat plus modéré.

En outre, Monsieur Mélenchon, certes au « cœur de l’actualité » semble faire fi de Madame Le Pen, devenue très discrète depuis sa défaite mais qui compte bien remporter de façon plus réaliste un  certain nombre de circonscriptions, au minimum 90 car ses velléités d'accession au contre-pouvoir sont bien moindres, préférant plutôt se projeter sur le prochain quinquennat...

Et ce,  sans l’aval d’ailleurs des « félons » gravitant autour de Monsieur Zemmour, lui-même jugé persona non grata par la Dame de Montretout  qui  aura  été probablement heurtée  par les propos peu aimables du polémiste à son endroit concernant son incapacité à remporter l’élection, lié, toujours selon lui, à un évident problème génétique, drôle d’allié ! .

Quoiqu’il en soit, l’actuel mode de scrutin, aggravé par l’inexorable montée de l’ abstention qui pourrait dépasser les 50 % et la règle de 12.5% des inscrits pour espérer la qualification au second tour laisse de facto de faibles chances aux « outsiders » d’emporter la mise…

Pendant ce temps-là, Quid de la Droite Républicaine ?

 Pas grand-chose sinon qu’elle fait profil bas depuis la plus cruelle défaite de son histoire lors du premier tour mais qui tente d’expliquer son refus d’intégrer la Majorité Présidentielle, accusant cette dernière de tous ses malheurs actuels, sans avoir une once d’auto-critique (qui serait peut-être salvatrice pour son moral en berne), car persuadée que ses déboires nationaux actuels peuvent être éclipsés par un ancrage local de ses élus toujours aussi fort et de disposer d'une confortable majorité au Sénat, synonyme de "poil à gratter" de la Macronie durant le quinquennat qui s'achève…

Mais dans l’état actuel des choses, son risque de disparaître du champ politique ou de finir « absorbée » de façon plus ou moins goulue par la Majorité ou partiellement par le Rassemblement National est une hypothèse à ne pas sous-estimer si l'état d'esprit ne change pas….

Cette curieuse « tambouille électorale » pourrait rappeler sur certains points, l’émission télé « Cauchemar en cuisine » du célèbre chef étoilé Philippe Etchebest qui part au secours de restaurateurs en perdition en leur prodiguant quelques bons conseils tout en les reboostant mentalement et qui donnent au final des résultats contrastés :  dès fois, la mayonnaise prend et l’espoir renait , a contrario d’autres fois, la fin d’une grande illusion et le dépôt de client finissent par poindre… En cuisine comme en politique dans un monde en constance évolution, la loi du marché et un esprit lucide s’imposent toujours…

 

BORNE TO BE PRIME MINISTER….

 

 

                                                               Editorial du 17 mai 2022

 

Nous parlons d’une époque que les moins de 31 ans n’ont pas connue : celle de la nomination de la Première femme Première Ministre :  Madame Edith Cresson. C’était en 1991, sous le second septennat de François Mitterrand et il est clair que ce passage par la case « Matignon » de l’ancienne ministre de l’agriculture ne fut pas un vraiment long fleuve tranquille, machisme dominant oblige,  tout en ayant la particularité d’avoir été longtemps le plus éphémère de la Vème République : 10 mois seulement. Un record difficile à battre avant d’être rattrapé ultérieurement par Monsieur Cazeneuve (5 mois en 2017)…

Aujourd’hui, après un insoutenable suspense qui aura duré trois semaines depuis la réélection d’ Emmanuel Macron, ce dernier a donc choisi comme successeur à Jean Castex, un membre du gouvernement sortant : Elisabeth Borne.

Le Président de la République a tenu sa promesse :  nommer une femme pour tenir les rênes de Matignon et de préférence issue d’une famille politique différente de ses deux prédécesseurs… Ce choix aura été celui de la raison à défaut d’être celui imaginé au départ.

On se souvient des « bruits de couloir » qui avaient agité le Landerneau politique, avec les supposés refus fermes de plusieurs personnalités classées à Gauche sur l’échiquier politique, telles les socialistes Valérie Rabault et Carole Delga ou issues des corps intermédiaires comme Nicole Notat, ancienne Secrétaire Générale de la CFDT mais également à droite comme Nathalie Kosciusko-Morizet… bien que l’Elysée ait démenti les avoir toutes approchées….

Cependant, il semblerait que le choix s’était porté dans un premier temps sur Catherine Vautrin, actuelle Présidente du Grand Reims, ancienne ministre sous Chirac et vice-présidente de l’Assemblée Nationale sous Sarkozy et Hollande, « une fine politique » à même de pouvoir mener la bataille des législatives pour transformer l’essai de la présidentielle.

 

Hélas pour la dame promue, de vives protestations se sont élevées au sein même de l’actuelle majorité pour juger l’ancienne Députée de la Marne, un peu trop « droitière » et sympathisante de la « manif pour tous »  en définitive,  contraire à l’esprit d’une recentrage à gauche, exit donc Madame Vautrin, et si l’hypothèse Marisol Touraine, fraîche convertie au Macronisme a un moment pu être envisagé, c’est finalement Elisabeth Borne qui a été préférée car  elle cochait toutes les cases recherchées par le chef de l’Etat : un brin écolo, pas mal techno, politiquement Macroniste de la première heure et déjà rompue au dialogue social  de par son passé professionnel et  surtout de son actuelle fonction de Ministre du Travail et surtout issu du Parti Socialiste….

 

A peine nommée, la promue de Matignon a tenu à rendre un hommage appuyé à sa prédécesseuse Edith Cresson (qui avait elle-même souhaiter peu de temps auparavant un sincère « bonne chance » à une éventuelle nominée) et à « toutes les petites filles de France » sans que l’on ne comprenne les raisons de cette dernière déclaration car en fait, sans être une inconnue, on savait peu de choses sur cette femme bosseuse mais peu diserte sur son passé.

 

Certes, on la savait ancienne élève de Polytechnique et des Ponts et chaussées et qu’elle avait dirigée la RATP avant de devenir Ministre en 2017, néanmoins on ignorait qu’elle fut à 11 ans « Pupille de la Nation » ce qui lui permit de toucher une « bourse d’Etudes » et de pouvoir accéder aux « Grandes Ecoles scientifiques », faisant d’elle une « Ingénieure », ce qui change de l’habituel profit « Enarque » rencontré jusqu’ici…

 

Si sa nomination de « Première Ministre » a été globalement saluée par la majorité de la classe politique et probablement des Français, l’opposition a vite retrouvé ses marques en qualifiant, pour les plus modérés ,  la nouvelle cheffe du gouvernement de « pure technocrate » qui ne risquera pas de faire de l’ombre à Jupiter mais également de « Thatcher à la française » prompt à poursuivre la « casse sociale » entamée par le pouvoir depuis 5 ans…

 

Techno comme il faut pour manier avec dextérité les rouages parfois rouillés de notre économie et pouvoir répondre aux défis de demain , mais a contrario pas du tout politique ni proche du terrain car jamais élue (ce qui avait été le cas de plusieurs de ses prédécesseurs : de Georges Pompidou à Raymond Barre, en passant par Dominique de Villepin) comme a ironisé Jean-Luc Mélenchon qui aimerait d’ailleurs pouvoir la rencontrer avant de mieux connaitre celle qu’il va remplacer dans un mois (sic).

 

Elisabeth Borne a cependant  confirmé qu’elle se lancerait bien dans la bataille politique afin d’assoir sa légitimité,  en se présentant dans le Calvados où elle a été parachutée bien qu’ayant des attaches familiales dans ce territoire bas-normand qui est plutôt favorable à l’actuelle majorité tout en élaborant urgemment, dans le faible laps de temps qui reste jusqu’aux législatives,  les grandes lignes de sa politique économique et sociale, largement dominées par une inflation galopante liée à la crise en Ukraine et à la question du « pouvoir d’achat » qui aura été au cœur des préoccupations des électeurs durant la campagne des présidentielles.

 

Dans l’heure, Madame Borne s’échigne à former un « gouvernement de combat » (sous l’œil avisé du président de la République) qui tarde à se former, n’en alimentant pas moins des spéculations au cœur de la classe politique : « Quelles nouvelles têtes vont apparaitre ? Quelles autres têtes en place vont tomber ? Quelle orientation dominera sur l’échiquier politique : changement ou continuité ? » Dans l’immédiat pas de réponse « il faut laisser du temps au temps » comme aime à le rappeler celle qui fut la collaboratrice de nombreux ministres socialistes sous Mitterrand comme sous Jospin…

Dans l’attente, la bûcheuse Borne a commencé à partir à la rencontre des Français, notamment aux habitants de Mureaux (Yvelines)  dans le dessein de découvrir un nouveau job souvent qualifié « d’Enfer de Matignon » par tous ceux qui l’ont subi et de trouver in fine le juste équilibre avec le locataire de l’Elysée, quelque soit temps passé, qu’il soit de courte durée ou bien qu’il dure le temps d’un quinquennat, chacun d’entre nous étant convaincus qu’il ne se traversera pas plus « en mer calme » que ne l'aura été le précédent…

Doux euphémisme…