Marcel Bozzuffi dans "French Connection".

 

 Deuxième Episode

 

CINEMASCOPE 1972

 

184 millions de spectateurs se sont rendus dans les salles de cinéma dans cette France de 1972, la moitié moins qu’en 1960 ! . Cette désertion sensible des salles obscures peut s’expliquer en grande partie par l’inexorable développement de la Télévision qui a fait son intrusion dans les foyers hexagonaux au cours de cette période,  passant de 15 % de foyers équipés à l’orée des années 60 à près de 75 % douze ans après….

De facto, le nombre de salles de cinéma a chuté, passant de 5 800 salles à 4 200 qui représentent un peu plus de 2 millions de places.

Cette année-là, le champion du Box-Office est indéniablement « Orange Mécanique » (A Clockwork Orange), film Britannico-Américain de Stanley Kubrick qui totalise plus de 7 millions d’entrées…Tiré du roman éponyme d’Anthony Burgess (inspiré d’une histoire vraie personnelle), ce film d’anticipation, implacable satire sociale d’une société devenue très violente est interprété par Malcom Mc Dowell, l’ex-collégien révolutionnaire de « If » (Palme d’Or Cannes 1969).

Deux des cinq premiers films en tête du Box-Office sont Français et totalisent plus de 9 millions d’entrées , alors « Cocorico » ? Pas vraiment, car ces deux longs métrages mettent en scène les Charlots, ex musiciens d’Antoine (« les Problèmes »), auteurs de nombreux tubes rigolos tels « Merci, Patron » ou encore « Paulette, la reine des paupiettes » et qui ont déjà connu un triomphe avec « Les Bidasses en folie » en 1971, réalisé par Claude Zidi et qui récidive avec « Les fous du Stade » (5 millions d’entrées) tandis que Jean Girault, réalisateur fétiche de Louis de Funès tourne avec eux  « Les Charlots font l’Espagne »  (4 millions)…

Deux succès indéniables mais qui ne risquent pas d’hanter les cinémathèques car porteurs d’un humour franchouillard, truffés de gags totalement éculés qui nous font rarement esquisser ne serait-ce qu’un sourire aujourd’hui, mais à l’époque, au Panthéon du Nanar…

« Il était une fois la Révolution » réalisé par Sergio Leone sera d’ailleurs le dernier Western tourné (dans la région d’Almeria en Espagne) par le célèbre réalisateur Italien de « Il était une fois dans l’Ouest » avec cette fois-ci,  Rod Steiger et James Coburn comme interprètes principaux. On n’oubliera pas bien sûr la musique d’Ennio Morricone, et le fameux « Sean, Sean ».

Avec plus de 5 millions d’entrées le film se classe en 4ème position au Box-Office, juste derrière « Le Dernier Tango à Paris » réalisé dans la Capitale Française par son compatriote Bernardo Bertolucci et qui fera scandale à sa sortie aussi bien en France qu’en Italie (où il finit par être retiré de l'affichec). Interdit aux moins de 18 ans car certaines scènes sont jugées pornographiques, il narre la rencontre fortuite entre un quadragénaire d’origine Américaine, interprété par Marlon Brando et une jeune fille jouée par Maria Schneider (fille naturelle de Daniel Gélin) et qui vont vivre une relation torride et sans issue à l’intérieur d’un appartement parisien sans connaitre l’identité de l’un comme de l’autre….

Brando, acteur mythique de « Sur les Quais » et d’ « Un Tramway nommé Désir » connaissait depuis quelques temps un « passage à vide » dans sa carrière, enchainant des films qui  rencontraient cd moins en moins leur public, jusqu’à ce fameux «Dernier Tango à Paris » qui lui permit de retrouver la route du succès sans oublier son rôle magistral de Vito Corleone dans le « Parrain » de Francis Ford Coppola, autre grand triomphe dans les salles en 1972, inspiré du Best-Seller de Mario Puzo. Marlon Brando obtiendra d’ailleurs l’Oscar du Meilleur acteur l’année suivante pour cette performance, provoquant au passage un scandale, en se faisant remplacer lors de la Cérémonie par une jeune Apache qui en profitera pour revendiquer de nouveaux droits sociaux pour sa communauté !

En France, l’irrévérencieux Jean Yanne a vraiment le « vent en poupe », il réalise « Tout le Monde il est beau, Tout le monde il est gentil » une comédie très grinçante sur le monde de la Radio…tout en obtenant le Prix d’interprétation masculine au Festival de Cannes pour « Nous ne vieillirons pas ensemble » de Maurice Pialat avec pour partenaire Marlène Jobert, actrice majeure de ces années 70-80.

Justement, le Jury du Festival est présidé par Joseph Losey qui décerne ex-aequo le « Grand Prix » (à l’époque on ne dit plus Palme d’Or avant qu’elle ne soit décernée à nouveau en 1974) à deux films Italiens : « La Classe Ouvrière va au paradis » d’Elio Petri et « L’Affaire Mattei » » de Francesco Rosi, deux films politiques qui ont la particularité d’avoir comme acteur principal Gian-Maria Volonté. Ce dernier avant de devenir une des têtes d’affiche d’un Cinéma Transalpin en plein essor aussi bien en Europe que dans le reste du monde, s’était fait connaitre dans les premiers Western-Spaghetti de Sergio Leone où il donnait la réplique à… Clint Eastwood ! On l’a vu également dans le « Cercle Rouge » de Jean-Pierre Melville, aux côtés d’Alain Delon, Yves Montand, François Périer et Bourvil comme dans « L’attentat » d’Yves Boisset qui sort en 1972 et librement inspiré de la nébuleuse « affaire Ben Barka ».

Jean-Pierre Melville réalise son ultime film : « Un Flic » toujours avec Alain Delon et Catherine Deneuve. Le maitre du « Polar à la Française » disparaitra prématurément en 1973 à l’âge de 55 ans, laissant quelques chefs-d’œuvre du cinéma d’après-guerre (Le Silence de la Mer, Le second souffle, le Samouraï,  l’Armée des Ombres)….

Alain Delon, acteur et producteur tourne en Italie un rôle à contre-emploi : « Le Professeur » sous la direction de Valerio Zurlini. L’acteur y interprète un enseignant à la dérive en remplacement dans un lycée de Rimini et qui tombe amoureux de l’une de ses élèves. Comme son ami et rival Belmondo, Delon a fait une carrière remarquée en Italie, notamment sous la direction de Luchino Visconti dans les années 60 (« Rocco et ses frères », « Le Guépard ») qui réalise « Le Crépuscule des Dieux » avec Helmut Berger et Romy Schneider, l’ex-fiancée, comme chacun sait, du ténébreux Alain Delon.

L’Italie prouve sa vitalité cinématographique (quelques années avant d’être mise à mal par l’expansion des chaînes de télévision privée au début des années 80) : Luigi Comencini réalise « L’argent de la vieille » avec Alberto Sordi, Sylvana Mangano mais également Bette Davis et Joseph Cotten !

Federico Fellini , après « La Dolce Vita » et « 8 et demi » rend à nouveau hommage à la ville éternelle avec « Roma » , un film composé de saynètes sur l’histoire et la vie de la cité avec un arrière-fond autobiographique, quand l’auteur, jeune provincial de Rimini débarqua à la fin des années 30 dans la Capitale de l’Italie…

Ettore Scola tourne « La Plus belle soirée de ma vie » avec Alberto Sordi dans le rôle principal mais également plusieurs monstres sacrés du cinéma français : Michel Simon, Claude Dauphin, Charles Vanel et Pierre Brasseur.

Mais le tournage du film sera bouleversé par la disparition de Pierre Brasseur à l’âge de 66 ans, obligeant le metteur en scène à réduire la durée initiale du long métrage de près d’une demi-heure et d’apporter de facto des modifications du scenario initial.

Pierre Brasseur, acteur majeur du cinéma , du théâtre et même de la télévision, aura occupé la tête d’affiche des années 30 à sa disparition. Issu d’une dynastie de comédiens depuis plusieurs générations, l’acteur des « enfants du Paradis » et de « Kean » verra son fils Claude perpétuer cette tradition familiale (ainsi que son petit fils Alexandre, aujourd’hui).

D’ailleurs, cette année-là disparait également Robert Le Vigan, à l’âge de 72 ans, exilé et mort dans le dénuement en Argentine, « banni » de son pays natal après avoir été condamné pour « Indignité nationale » ? Cet acteur talentueux, né en 1900, fut une des valeurs sures du cinéma Français des années 30-40 avant de s’engager dans la Collaboration, en affichant haut et fort son antisémitisme et son amitié pour Céline qu’il accompagnera en Allemagne avant de revenir en France et d’être jugé… Il sera incarcéré plusieurs années avant de décider de rejoindre l’Espagne puis l’Argentine d’où il ne reviendra jamais.

On avait pu le découvrir dans de nombreux films de l’avant-guerre puis de l’Occupation, dont un grand nombre sont devenus des classiques du cinéma français, citons entre autres,  son  interprétation mémorable du Christ dans « Golgotha » de Julien Duvivier , de « Goupi Mains Rouges » de Jacques Becker ou encore les « Disparus de Saint Agil » de Christian-Jaque. …

De l’autre côté de l’Atlantique, outre le « Parrain » déjà cité, c’est « French Connection » de William Friedkin qui «prend la lumière » de façon stupéfiante (je sais, elle était facile) en obtenant plusieurs Oscars, dont celui du Meilleur Film, du meilleur acteur : Gene Hackman et celui du meilleur réalisateur pour Friedkin. Ce film policier sur ce fameux réseau de drogues entre la France et les Etats-Unis connait un grand succès et dispose d’une distribution internationale : Fernando Rey, d’habitude acteur fétiche de Buñuel, Roy Scheider ou encore Marcel Bozzuffi

« Délivrance » réalisé par le Britannique John Boorman, raconte l’histoire d’un raid en canoé-kayak de quatre copains (dont l’un interprété par Burt Reynolds et Jon Voigt) et qui finira tragiquement. Le duo musical entre « l’enfant au banjo » et l’acteur Ronnie Cox , l’accompagnant à la guitare est resté dans toutes les mémoires. Un autre Britannique mais qui a également connu la gloire de l’autre côté de l’Atlantique revient à Londres pour tourner « Frenzy ». Il s’agit bien sûr d’Alfred Hitchcock qui réalise là son avant-dernier long métrage (avant « Complot de Famille, en 1976) où le Maitre du suspense raconte la traque d’un Serial Killer qui sévit sur les bords de la Tamise….

« Le Limier » de Joseph Mankiewicz, Américain d’origine comme Kubrick mais qui tourne ce formidable « huis clos » entre deux comédiens d’exception que sont Sir Lawrence Olivier, comédien Shakespearien par essence et Michael Caine, son compatriote qui connait à cette époque une grande notoriété.

« Jeremiah Johnson » de Sydney Pollack, est un anti-western interprété par son acteur fétiche, Robert Redford et tourné dans la rudesse climatique des Montagnes Rocheuses. Le futur partenaire de Redford dans « L’Arnaque » (qui sortira en 1973), Paul Newman passe de l’autre côté de la caméra où il dirige son épouse Joanne Woodward (qui obtiendra le Prix d’interprétation à Cannes en 1973) dans « De l’influence des rayons gamma sur le comportement des Marguerites »…portrait réaliste mais pessimiste d’une famille française au cœur de l’Amérique profonde…

Sam Peckinpah met en scène Steve Mc Queen et son épouse Ali Mc Graw dans « Guet-Apens », un thriller autour de la fuite d’un truand, à peine sorti de prison et qui « replonge » en effectuant un casse pour finalement prendre la fuite avec son butin pour échapper à ces commanditaires qui ont décidé de le supprimer.

Bob Fosse réalise « Cabaret » un film musical qui obtient plusieurs Oscars en 1973 dont celui de meilleure actrice pour la pétillante Liza Minelli avec en arrière-fond le Berlin interlope du début des années 30 qui ne va pas tarder à être éclipsé par la montée inexorable du Nazisme en Allemagne…

 

Pour en revenir au cinéma Européen, la Suède est à l’honneur avec Ingmar Bergman avec « Cris et Chuchotements » interprété par sa compagne de l’époque et actrice-fétiche, Liv Ullmann ou encore l’Allemagne avec « Aguirre ou la colère de Dieu » de Werner Herzog avec un hallucinant Klaus Kinski  s’inscrit dans la mouvance du Nouveau Cinéma Allemand, également incarné cette année-là  par Wim Wenders (« L’angoisse du gardien de but au moment du Penalty ») ou Rainer Werner Fassbinder (« Les Larmes amères de Petra Von Kant »). En Belgique, André Delvaux tourne « Belle » avec Jean-Luc Bideau et Danièle Delorme et Raymond Leblanc, ex-assistant d’Hergé réalise le dessin animé : « Tintin et le lac aux requins »…

Le cinéma Français qui représente plus de la moitié des fréquentations en salles se caractérise par une abondante production qui allie aussi bien un cinéma commercial de qualité, dont l’irrésistible parodie de film d’espionnage : « Le Grand blond avec une chaussure noire » d’Yves Robert, avec une brochette de comédien(nes), valeurs sûres du moment : Pierre Richard (qui réalise et interprète également « Les malheurs d’Alfred »), accompagné de Mireille Darc, Jean Rochefort ou Bernard Blier.

« L’Aventure, c’est l’aventure » est un des triomphes en salle de l’année, réalisé par Claude Lelouch, avec Lino Ventura, Jacques Brel, Charles Gérard, Charles Denner ou Aldo Maccione qu’un cinéma d’auteur affirmé, à l’instar de Claude Sautet avec « César et Rosalie » avec le trio Romy Schneider-Yves Montand- Sami Frey » ou encore « L’Amour, l’après-midi » un des « Six contes moraux » d’Eric Rohmer, le plus « littéraire » de nos cinéastes,  avec Bernard Verley et Daniel Ceccaldi.

Jean-Paul Belmondo, devenu « Bébel » tourne la « Scoumoune » un film de « truands » signé José Giovanni, d’après un roman de celui-ci, avec également Claudia Cardinale et Michel Constantin.

Luis Bunuel réalise « le charme discret de la bourgeoisie » nouvel opus surrealiste (avant le « fantôme de la liberté ») avec Fernando Rey, Jean-Pierre Cassel, Delphine Seyrig, Stéphane Audran et Paul Frankeur notamment.

Enfin, René Clément tourne son dernier film, un polar : « La course du lièvre à travers les champs » d’après plusieurs romans de Sébastien Japrisot, avec Jean-Louis Trintignant, Robert Ryan et Léa Massari….

Résumé du « Millésime 1972 » : quelques (très) grands crus : « Orange Mécanique », « Le Parrain », un « cru bourgeois » avec Bunuel, quelques « vins de table » euphoriques avec les Charlots, une envie de faire la Révolution à la sauce spaghetti avec tout le monde qui est bon et qui est gentil même si nous ne vieillirons pas ensemble, dans une ambiance Cabaret où nous entendrons Un grand Blond stupéfiant avec une « French Touch » comme connection… Après tout, l’aventure c’est l’aventure….une forme de délivrance…

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