TROISIEME EPISODE
1972 A LA UNE…
« Pierre Lazareff, Pierre Desgraupes, Pierre Dumayet et Igor Barrère» « un quatuor de choc » indissociable du générique du mythique magazine d’informations télévisées : « Cinq colonnes à la Une » qui fit les beaux soirs de la télévision française entre 1959 et sa suppression après les évènements de mai 1968.
Le premier des « Pierre » : Lazareff était depuis la Libération, le patron du puissant quotidien national « France-Soir » qu’il avait fondé et qui était alors le « plus gros tirage » de la presse française. Mais le 24 avril 1972, le grand journaliste s’éteint à l’Hôpital Américain de Neuilly où il avait été admis trois semaines plus tôt. Il meurt à l’âge de 65 ans.
A sa disparition, son journal qui tirait encore à 1 million d’exemplaires jusqu’au milieu des années 60, connait déjà un déclin sensible (600 000 exemplaires) , fortement concurrencé par la Télévision et la Radio et même par certains autres quotidiens, à l’instar du « Parisien Libéré" fondé en 1944 par Emilien Amaury.
A l’image de France-Soir, de nombreux quotidiens régionaux et nationaux ont vu le jour à la Libération, reprenant souvent des titres d’avant-guerre (ce fut également le cas de France-Soir qui succéda à « Paris-Soir » où officiait d’ailleurs le même Lazareff) et amorcent cette décennie 70 non sans difficultés de rentabilité, tel « Combat » le journal lancé par Albert Camus sous l'occupation et dont la rédaction est à présent dirigée par Philippe Tesson.
La ligne éditoriale du quotidien a la particularité d’être tenue par des plumes parfois divergentes au niveau idéologique, comme celle de Maurice Clavel, ex-résistant gaulliste, catholique et converti au Maoïsme ou de Pierre Boutang, clairement classé à la droite de la droite….
Mais les difficultés financières empêchent le journal de connaitre un second souffle, Philippe Tesson qui vient de créer le « Quotidien du Médecin » propose d’associer les deux titres mais le propriétaire de « Combat », Henri Smadja le refuse. Tesson finira par démissionner en 1974 pour créer son propre journal « Le Quotidien de Paris », ce qui sonnera d’ailleurs le glas de « Combat »…
« L’Aurore » qui est également né à la Libération, s’appropriant au passage le nom du journal de Clémenceau qui avait publié le fameux « J’accuse » de Zola, est d’abord plutôt classé au « Centre gauche » : il était dirigé par Robert Lazurick, ancien Député du Front Populaire (qui meurt accidentellement en 1968, sa femme Francine lui succède) et racheté au début des années 50 par le « magnat » du textile, Marcel Boussac.
En 1972, c’est Dominique Pado (futur Editorialiste de la "Haute-Marne Libérée"), Sénateur centriste de Paris qui dirige la rédaction. Un chroniqueur du nom de Pierre Desproges y a fait ses premières armes avant de « percer » à la radio et à télé.
Le tirage du journal avoisine alors les 500 000 exemplaires mais est souvent en concurrence avec le « Figaro » qui est la propriété de l’industriel Nordiste Jean Prouvost. Le quotidien de la rue Réaumur n’est pas né en 1944 mais en 1826, avec une interruption entre 1942 et la Libération, ce qui lui a permis de reparaître après la Guerre.
La ligne éditoriale est clairement à droite, mais après avoir longtemps été antigaulliste, elle s’est ralliée au début de la Vème République à l’homme du 18 juin. Raymond Aron est alors la grande « conscience intellectuelle » du journal comme le fut naguère François Mauriac (les deux seront également des collaborateurs de « L’Express » de Jean-Jacques Servan-Schreiber), Jean d’Ormesson, Michel Droit et un certain Bernard Pivot sont également des « plumes » du journal…
En 1975, le Figaro et l’Aurore seront absorbés par le Groupe Hersant qui continue à « dévorer » une grande partie de la Presse aussi bien nationale que régionale qui connait de grandes difficultés financières. D’abord « mixés » les deux titres devenus « Le Figaro-L’ Aurore » continueront à avoir des éditoriaux différents avant d’être définitivement fondus en un seul titre (le Figaro aux dépens de l’Aurore, qui disparait).
« Le Monde », le quotidien de la Rue des Italiens, créé à la Libération par Hubert Beuve-Méry (à la demande du Général de Gaulle qui voulait en faire un grand quotidien de prestige pour remplacer « Le Temps » qui paraissait avant-guerre et nul doute que le pari sera gagné : le journal sera au cœur de tous les débats d’idée qui animent cette France de l’Après-Guerre. Classé au Centre-Gauche en 1972 alors qu’il est dirigé par Jacques Fauvet. Son tirage quotidien avoisine alors les 350 000 exemplaires et connait une croissance continue qui ne se démentira pas jusqu’à la fin de la décennie.
« L’Humanité » créé par Jean Jaurès en 1904 et passé sous « pavillon communiste » après le Congrès de Tours en 1920 est à présent dirigé par le député de Seine Saint Denis, Etienne Fajon et la rédaction en chef est tenue par René Andrieu, l’un des intellectuels d’un Parti Communiste alors première Force de la toute nouvelle Union de la Gauche (qui vient d’élire Georges Marchais à sa tête) qui s’est allié au tout jeune PS né lors du Congrès d’Epinay en 1971 sous l’égide de François Mitterrand et au MRG, la branche la plus à Gauche du Parti Radical, dirigé par Robert Fabre.
Le Quotidien communiste tire à plus de 150 000 exemplaires chaque jour, renforcé par son supplément « L’Humanité dimanche » qui est en partie vendu par ses propres militants et par la « Fête de l’Huma » qui se tient chaque année à la Courneuve et qui attirent des visiteurs venus d’horizons différents grâce à ses nombreux concerts donnés en plein air.
La PQR, presse quotidienne régionale reste vigoureuse et peut s’enorgueillir que certaines métropoles régionales possèdent plusieurs titres : Marseille avec « Le Provençal » classé à Gauche avec son éditorialiste Jean-René Laplayne et «le Méridional » son opposé politique que dirige Gabriel Domenech, futur député Front National mais les deux possédant le même actionnaire principal : Gaston Defferre, le maire socialiste de la Cité Phocéenne !. Bien plus tard les deux titres fusionneront en un seul titre, celui que l'on connait aujourd'hui: "La Provence".
La plupart de ces titres ont également vu le jour après la libération et seront jusqu’à cette période la propriété de grandes familles de notables dont certains dirigeants mènent parallèlement une carrière politique :
A Toulouse, c’est la « Dépêche du Midi » propriété de la Famille Baylet depuis les années 40, également élus locaux Radicaux-Socialistes dans le Tarn et Garonne (Jean Baylet et après sa disparition accidentelle en 1959 : sa femme Evelyne puis leur fils Jean-Michel, qui deviendra même ministre). A noter que l’un des administrateurs auprès d’Evelyne Baylet n’était autre que René Bousquet, ancien chef de la Police de Vichy qui a quitté le journal en 1971.
A Bordeaux, c’est « Sud-Ouest » qui rayonne sur une grande partie de l’Aquitaine mais qui connait de gros mouvements sociaux en 1972 sur le site de son imprimerie tandis qu’un de ses journalistes, Jean-Claude Guillebaud obtient le prestigieux « Prix-Albert Londres ».
« Le Dauphiné Libéré », dont le siège est à Grenoble a été fondé par l’ancien résistant Louis Richerot et rayonne sur la majorité des départements alpins (Isère, les Savoie mais également l’Ain et l’Ardèche »), le quotidien régional connait une notoriété nationale en organisant chaque année, « Le Critérium du Dauphiné Libéré » , épreuve cycliste qui est remportée en 1972 par l’Espagnol Luis Ocaña…
La région Bretagne où deux titres dominent : « Le Télégramme de Brest » et bien sûr Ouest-France créé par la famille Hutin et qui se réclame de la tradition humaniste de la Démocratie Chrétienne.
Au Havre (« Le Havre-Presse et le Havre-Libre »), à Troyes (« Libération-Champagne se classe à gauche tandis que « l’Est Eclair » affiche son soutien à la majorité de Droite), à Lille et Roubaix : « Nord-Eclair » plutôt classé avec son éditorialiste Jules Clauwaert et la « Voix du Nord », plus marqué à droite mais bien ancrée dans la vie Nordiste (et du Pas de Calais), également présent avec son « Cirque de la Voix du Nord » et l’épreuve cycliste des « quatre jours de Dunkerque ».
A Clermont-Ferrand «La Montagne », le journal des « Auvergnats » dont Alexandre Vialatte, disparu en1971 fut l’emblématique promoteur , « Nice-Matin » à Nice, « Les Dernières Nouvelles d’Alsace » à Strasbourg, « Le Bien Public » à Dijon, « La République du Centre-Ouest » à Tours, fondée par la famille Saint-Criq « La Charente Libre » avec son éditorialiste vedette André Mazières, « La Presse de la Manche » à Cherbourg qui avait « loupé » pour cause de non parution le dimanche, le scoop des « Frégates de Cherbourg » en 1967 .
N'oublions pas encore le « Progrès de Lyon » dans la Capitale des Gaules et « L’Indépendant » à Perpignan, « Paris Normandie » à Rouen , « Le Courrier Picard », etc, etc, etc….
C’est encore la « Grande époque » de la presse papier, qui va connaitre, bien avant « la révolution numérique », les premiers symptômes d’une crise qui va perdurer avec les difficultés financières : modernisation des moyens d’impression, perte des recettes publicitaires, concurrence de la radio et de la télévision et « l’ouragan » Robert Hersant qui va racheter un grand nombre de titres au cours de la décennie suivante, fusionnant même plusieurs titres naguère concurrents...
1972 marquera la naissance d’un nouvel hebdomadaire « Le Point » fondé par des anciens de « l’Express » qui n’ont pas apprécié l’entrée en politique de Jean-Jacques Servan-Schreiber, co-fondateur avec Françoise Giroud du « newsmagazine » en 1953.
A l’instar d’Olivier Chevrillon et de Claude Imbert, le nouvel hebdomadaire va se classer au « Centre-droit » tout en ouvrant ses tribunes à des sensibilités politiques différentes et entre concurrence avec « L’Express » et le « Nouvel Observateur »… A L'époque, le nouvel hebdo compte parmi ses collaborateurs : Jean Michel Royer (qui deviendra également Editorialiste du "Progrès de Lyon"), Georges Suffert ou encore Jacques Duquesne ( Rédacteur en chef)
LA TOURNEE DES PAGES
Il s’appelle Jean Carrière, c’est un critique littéraire originaire de Nîmes, il a été proche de Jean Giono et fut l’ auteur de « Retour à Uzès » en 1967. Cinq ans plus tard, il est l’heureux lauréat du « Prix Goncourt 1972 » pour « L’Epervier de Maheux » qui relate la rude vie des habitants d’un hameau perdu des Cévennes. Le succès du livre est colossal : plus de 2 millions d’exemplaires seront vendus (grand format), devenant au passage un des plus gros tirages de l’après-guerre. Cette « fortune littéraire » pèsera cependant à son auteur, au point de transformer ce succès en « véritable boulet », tant au niveau des tirages que de l’inspiration.
Le rival du Goncourt, le « Prix Renaudot » est décerné le même jour à Christopher Frank pour « La Nuit Américaine » mais dont l’adaptation cinématographique sera faite par Andrzej Zulawski en 1974 : « L’important c’est d’aimer » avec Romy Schneider et Jacques Dutronc et qu’il ne faut donc pas confondre avec le film au titre éponyme de François Truffaut sorti en 1973.
Le Grand Prix de l’Académie Française est décerné au jeune Patrick Modiano (27 ans) pour les « Boulevards de Ceinture », l’auteur né en 1945 et dont l’œuvre et l’écriture si particulière sont très imprégnées de la période trouble de l’Occupation.
Encensée par la critique qui voit en lui un véritable phénomène littéraire depuis 1968, Patrick Modiano est également un des porte-étendards de la maison Gallimard avec laquelle il obtiendra le Prix Goncourt en 1978 puis le Nobel de Littérature en 2014…
A propos de Prix Nobel de littérature, il est décerné cette année-là à l’écrivain Ouest-Allemand Heinrich Boll, l’auteur de «l’honneur perdu de Katharina Blum » et de « Portraits de groupe avec dames » qui seront tous deux adaptés au cinéma.
Mais le nouveau lauréat du Nobel est également un ardent défenseur des droits de l’homme et de la paix, acteur en première ligne de tous les grands combats de l’après-guerre, vivant dans un pays, l’Allemagne de l’Ouest, alors séparé de sa « sœur de l’Est » tombé sous le giron de Moscou depuis 1945 et qu’il ne verra jamais réunifié car il disparait en 1985 à l’âge de 68 ans.
Il hébergera ultérieurement, un collègue du Nobel de littérature et auteur de « l’Archipel du Goulag » (paru 1973) , Alexandre Soljenitsyne, alors réfugié en RFA avant son départ pour les USA.
Maurice Clavel obtient le prix Médicis pour « le Tiers des Etoiles », c’est incontestablement une figure majeure de la vie intellectuelle française entre 1945 et 1979 (date de sa disparition), Résistant de la première heure, au parcours politique hétéroclite, tour à tour (parfois simultanément) : Gaulliste, Chrétien et Maoïste, il est resté dans les mémoires lors de son coup d’éclat à l’émission politique : « A armes égales » quittant le plateau pour protester contre la censure dont il avait fait l’objet lors de la présentation de son film, lançant un « Messieurs les censeurs, bonsoir ! » aux organisateurs de l’émission.
Roger Grenier, peu connu du Grand Public mais personnage incontournable de l’édition Française, ancien du journal « Combat » et membre du comité de lecture de Gallimard, reçoit le prix Femina pour « Ciné-Roman ». Enfin, le prix Interallié est attribué à Georges Walter, Grand Reporter à l’ORTF pour son roman « Des vols de Vanessa »…
Le monde de la littérature perd cette année-là plusieurs de ses plus illustres représentants : Henry de Montherlant, écrivain et dramaturge à succès, dont l’œuvre est importante voire foisonnante (avec les pièces : « Le Maitre de Santiago », « La ville dont le prince est un enfant », « la Reine morte » ou ses romans « Les Bestiaires » ou « Pitié pour les femmes » est lui-même un personnage romanesque mais parfois sulfureux en ce qui concerne sa vie privée. Cet académicien Français, atteint de cécité, décide de mettre fin à ses jours en septembre 1972.
Un autre collègue académicien, Jules Romains, l’auteur des « Copains » et de « Knock » s’éteint à l’âge de 87 ans. De l’autre côté des Alpes, c’est Dino Buzzati, l’auteur du cultissime « Désert des Tartares » qui disparait à l’âge de 66 ans. Cet ancien journaliste au « Corriere de la Sera » était également peintre et auteur de recueils de nouvelles comme « Le K » ou « le rêve de l’Escalier »…. Au Japon, le prix Nobel de littérature en 1968, Yasunari Kawabata s’éteint au mois d’avril.
L’activité littéraire en France est dominée par la sortie du « Cri de la chouette » dernier volet de la trilogie d’Hervé Bazin, après « Vipère au Poing » (un des plus gros tirages de l’Après-Guerre) et « la Mort du Petit Cheval » avec comme personnage principal, celui de « Brasse-Bouillon » (très largement inspiré de l’auteur) et de sa mère « Folcoche » (magistralement interprété par Alice Sapritch, dans l’adaptation télévisée de « Vipère au poing » de 1971).
Robert Merle publie un roman d’anticipation « Malevil » qui connait un énorme succès (il sera également adapté au cinéma mais dans les années 80). Max Gallo, journaliste à l’Express, futur homme politique mais surtout historien à l’œuvre très abondante publie « Le Cortège des vainqueurs » qui raconte l’irrésistible ascension de Mussolini dans l’Italie des années 20.
Un autre Clavel est à l’honneur en 1972, c’est Bernard Clavel qui n’a aucun lien de parenté avec le philosophe. Il publie « Le Seigneur du Fleuve »….
Il est de la même génération que lui mais d’origine sociale bien différente : Il n’est pas sorti de Normale Sup mais a commencé à travailler dès l’âge de 14 ans comme Apprenti-Boulanger…
Cet autodidacte « nomade » (il déménagera plus de quarante fois, aussi bien en France qu’à l’étranger) a gagné ses lettres de noblesse au sein de la « République des lettres » en 1968, en obtenant le Prix Goncourt 1968 pour « les Fruits de l’Hiver ».
Mais contrairement à Jean Carrière, cet écrivain du « Terroir » ne vivra pas avec la « malédiction » du prestigieux Prix littéraire, devenant plutôt l’auteur comblé de nombreux romans à succès, dont son chef-d’œuvre « L’Espagnol » (qui sera adapté de façon mémorable à la télévision par Jean Prat) ou encore le « Tonnerre de Dieu » ainsi que de nombreux contes ou autres sagas …
Georges Simenon, auteur francophone le plus lu de la planète publie « Maigret et Monsieur Charles », son ultime ouvrage sur le plus « célèbre flic de France » sorti de son imagination quarante ans plus tôt et maintes fois adapté au cinéma et à la télévision….
Michel Déon, futur académicien et « Hussard » des lettres publie « Les Poneys sauvages», Henri Troyat, également académicien et auteur de nombreux romans à succès qu’il écrivait parait-il debout, écrit « la feuille et le ciseau ». Georges Perec, le chantre de l’Oulipo et incomparable magicien des mots publie « les Revenentes ».
Une activité littéraire également dominée par les incontournables de l’époque : Françoise Sagan, Jean Dutourd, l’éclosion de nouveaux talents tels Patrick Grainville (futur Prix Goncourt et académicien) ou encore Jean Patrick Manchette (« Nada » qui sera adapté au cinéma par Claude Chabrol)….
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