Il était une fois René Goscinny


Paris, 5 novembre 1977



Ce jour-là, René Goscinny se rend chez un cardiologue pour subir un test d'effort recommandé  par le Professeur Carpentier qui le suit et qui a diagnostiqué une insuffisance cardiaque de son illustre client, en outre gros fumeur, sédentaire et plutôt stressé, d'où l'interêt de cet exercice de routine.

On connait la suite, l'exercice tourne mal et René Goscinny est pris d'un violent malaise et décèdera peu de temps après, il n'avait que 51 ans...


Scénariste de BD (il avait d'ailleurs donné ses lettres de noblesse à ce métier auparavant non reconnu), humoriste, journaliste, écrivain , homme de télévision, l'homme aux multiples casquettes laisse une veuve et une fille Anne, âgée de seulement 9 ans.


Mais René Goscinny laisse également de nombreux autres orphelins qui ont pour nom le Petit Nicolas, Astérix, Lucky Luke,  Oumpapah, etc... dont il avait écrit les scénarios en association avec des dessinateurs tels que Sempé, Uderzo, Morris, etc.....














Il était né à Paris en 1926, au sein d’une famille originaire juive ashkénaze originaire d’Ukraine et de Pologne dont certains des membres seront des victimes de la Shoah mais le petit René échappera à ce drame car son père, ingénieur Chimiste était parti travailler enArgentine au milieu des années 20, embarquant avec lui,  femme et enfants.

C’est donc à Buenos Aires que René Goscinny fréquente le lycée Français et côtoie une communauté expatriée autant cosmopolite que polyglotte sans oublier toutefois la France où il y fera de nombreux voyages avant-guerre. Son père disparait cependant lorsqu’il a 17 ans, ce qui met alors sa famille dans une situation précaire, d’où son départ vers les Etats-Unis avec sa mère et son frère cadet, Claude.

René Goscinny va alors faire son entrée dans la vie active et ce que l’on ignore, c’est qu’il fut à l’origine dessinateur, mais plutôt moyen voire médiocre, selon ses propres dires et qu' il connaitra des débuts difficiles avant de faire des rencontres déterminantes qui vont tout changer mais il faudra attendre plusieurs annéespour cela.


Mais entre-temps, levoilà qui s’engage dans l’armée Française en 1945 qu’il a préféré à celle des Etats-Unis (où il aurait même pu prendre la nationalité) avant de retourner Outre-Atlantique où il tentera (en vain) de rencontrer Walt Disney.

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Il intègrera finalement une agence de publicité à New York, avant de rencontrer le dessinateur Belge Jijé qui le mettra en contact avec son compatriote Morris, le« père » de Lucky Luke, dont il deviendra le scénariste de nombreux albums de 1957 à sa mort.

Au début desannées 50, il revient à Paris et intègre la World Press où il fera plusieursrencontres déterminantes : la première avec Jean-Jacques Sempé qui publiait ses dessins dans « Sud-Ouest » et qui donnera naissance au« Petit Nicolas » et la deuxième avec Albert Uderzo.

Progressivement, René Goscinny abandonne le dessin pour se consacrer uniquement au scénario, mais à l’époque le « métier » n’est pas vraiment reconnu, ce qui l’amènera à créer avec la complicité de Jean-Michel Charlier , le premier syndicat des scénaristes de BD, ce "Neuvième art "qui va connaitre ses lettres de noblesse dans les décennies qui vont suivre…

Pour René Goscinny, la fin des années 50 et les années 60 lui apporteront gloire et prospérité : en 1959, c’est dans un studio de Bobigny qui appartient à son complice Albert Uderzo que sera créé un petit personnage, un ancêtre Gaulois nommé Astérix, issu d’un petit village qui résiste encore et toujours avec ses complices guerriers à l’envahisseur romain.

La publication des albums « d’Astérix et Obélix » au tirage d’abord modeste, deviendra au fil du temps un véritable succès de librairie, voire un « phénomène de société » en France et s’exportera dans de nombreux pays pour atteindre les 350 millions d'exemplaires vendus à ce jour !


Les aventures du petit Gaulois et de ses complices seront adaptées sous forme de feuilleton à la radio (« France Inter »), à la télévision, puis  sous forme de dessins  animés et enfin avec des acteurs en chair et en os, réalisé notamment par Claude Zidi, Alain Chabat ou plus récemment par Guillaume Canet….


Le binôme Goscinny-Uderzo ainsi que leur éditeur Georges Dargaud connaitront ainsi la gloire et la fortune, ce qui provoquera la jalousie de certains de leurs confrères notamment vers 1968, où il était alors  de « mauvais ton de gagner du fric ». René Goscinny en saura quelque chose, devant entre autres affronter une partie de sa rédaction lors des évenements de mai.

Certains reprocheront en outre au binôme Uderzo-Goscinny de produire avec « Astérix » des albums décrivant des personnages « chauvins, xénophobes, misogynes et bien sûr franchouillards » et servant la soupe au « régime gaulliste »,ce qui affectera les deux auteurs, qui comme chacun sait étaient d’origine étrangère (Europe de l’Est et Italie) et ne faisaient que décrire avec verve et humour des français moyens avant l’heure…

« Pilote »est alors un magazine de BD dont il est l’un des co-fondateurs avec Albert Uderzo et Jean-Michel Charlier et qui  sera racheté par Georges Dargaud l’année suivante, à la suite de problèmes financiers. René Goscinny en devient lerédacteur en chef.

D’abord réservé essentiellement à la jeunesse, il s’adressa progressivement à un public adulteet connaitra un très gros succès dans les années 70 avant toutefois de disparaitre en 1989....

Très influent dansle milieu de la Bande dessinée, il fera des émules avec les parutions de« Fluide Glacial », « L’Echo des Savanes » ou encore« Métal Hurlant » dont les fondateurs étaient des anciens collaborateurs de l’hebdomadaire.


Notons que les premiers albums d’Astérix paraitront dans les colonnes du journal sous forme de feuilleton au moins jusqu’au début des années 70 mais également les« Aventures de Tanguy et Laverdure » de Charlier, Uderzo puis Jijé (immortalisépar le mythique feuilleton « les Chevaliers du ciel », à la TV)« Achille Talon » de Greg, « Blueberry » de Jean Giraud ou encore « Valérian » de Mezières et Christin.


Mais« Pilote » a pu s’enorgueillir d’employer tout le« gratin » de la BD de l’époque et qui ont pour nom Reiser, Fred,Moebius, Bretecher, Bilal, Druillet, Hugo Pratt, Morris, Mandryka, Pétillon ,Lauzier et bien sûr Marcel Gotlib, etc…

Goscinny rencontre également Pierre Tchernia dans le milieu des années 60 et entamera avec lui une collaboration aussi bien à la télévision qu’au cinéma, signant notamment les scénarios du « Viager » et des « Gaspards » réalisés par le célèbre producteur-animateur.

La télévision qu’il retrouvera quelques temps avec sa disparition à Noel 76 avec ses savoureuses « Mini-chroniques » racontant les mésaventures de Monsieur Bouchard, un français moyen…Au début de chaque épisode, René Goscinny apparaissait un peu à la manière d’Hitchcock dans « Alfred Hitchcock raconte ».  Une deuxième saison sera programmée et diffusée l’année suivante, quelques temps après sa disparition…


46 ans après, personne n’a oublié René Goscinny, scénariste de BD (500 millions d’exemplaires vendus, qui dit mieux ?), journaliste, producteur, humoriste. Comme on le sait, Albert Uderzo a continué « Astérix » en signant le scénario et le dessin, fondant également les « Editions Albert René » avant de passer le flambeau, quelques temps avant sa mort en 2020.


Après la disparition de sa femme Gilberte, c’est sa fille unique Anne qui continue à gérer l’immense patrimoine artistique laissé par son père. Aujourd’hui, le nom de René Goscinny a été donné à plusieurs établissements scolaires, sa statue (en photo) qui a été inaugurée récemment face à son domicile dans le 16ème arrondissement, une autre à Angoulême et enfin une sculpture à Buenos Aires, lieu de son enfance…