LE TOIT DU MONDE

Editorial du 29 mai

Philippe Dupont

C’est un sommet qui culmine à 8 849 mètres, le plus haut de la planète, au cœur de la Chaine de l’Himalaya, situé entre le Népal et le Thibet occupé par la Chine.

Son nom local est le Chomolungma mais on le connait plutôt sous le nom de mont Everest, portant le patronyme d’un géographe britannique qui fit de nombreux relevés cartographiques dans ces parties reculées d’Asie dans la seconde moitié du XIXème siècle.


A l’aube du siècle suivant, personne ne l’avait conquis et beaucoup doutaient de la possibilité de le faire un jour, au vu des nombreuses difficultés tant climatiques que techniques qu’il présentait…

Pourtant, au lendemain de la Première guerre mondiale, les avis changèrent et son ascension rentra dans l’ordre du possible et les premières expéditions virent le jour.

George Mallory, un jeune alpiniste britannique a qui on demandait la raison de son engagement dans cette aventure aussi risquée que périlleuse pour atteindre le « toit du monde » donna une réponse rentrée dans l’Histoire de l’Alpinisme « parce qu’il est là ! ».


On connait l’épopée tragique de Mallory et de son complice Irvine, disparus en 1924 non loin du sommet sans que l’on sache vraiment s’ils avaient réussi à l’atteindre. Le corps de Mallory fut toutefois retrouvé 75 ans après mais aucun indice (drapeau, photo) pour constituer la moindre preuve de la réussite de son entreprise.

Il faudra attendre la 9ème expédition menée par les Britanniques pour  pouvoir  enfin parvenir à atteindre le sommet : c’est le 29 mai 1953 que Edmund Hillary, un apiculteur et alpiniste néo-zélandais et Tensing Norgay, un sherpa népalais entrèrent dans l’histoire en s’imposant comme les conquérants du plus haut sommet de la Terre.

La nouvelle de leur exploit fut relaté le 2 juin en coïncidant avec le couronnement de la reine d’Angleterre Elisabeth II et connut aussitôt un retentissement international.

Edmund Hillary fut anobli par la Reine et le Sherpa Tensing devint un véritable héros dans son pays. Le premier expliqua leur succès grâce à la « solidité » de leur duo et vanta les mérites de son partenaire, auparavant déjà compagnon de cordée et qui lui laissa la primeur d’arriver le premier au sommet.


Tout le reste de leur existence, les deux hommes continuèrent à défendre les vertus de l’Alpinisme tout en condamnant, à l’instar d’Hillary, la « marchandisation » et le manque de professionnalisme de certaines expéditions ultérieures.


Mais une autre question anima d’emblée le « grand public » pourquoi « grimper » à tout prix au risque de sa vie, en devenant en quelque sorte des « Conquérants de l’inutile » ? Comme l’avait écrit Lionel Terray, une autre légende de l’Alpinisme, qui participa avec Maurice Herzog et Louis Lachenal à l’ascension sous les couleurs tricolores du 1er « 8000 » celui de l’Annapurna en 1950, marqué par un exploit sportif sans précédent mais très éprouvant physiquement pour ces auteurs.

La réponse donnée à cette volonté de connaitre « l’ivresse des cimes »  probablement aussi forte que celle de « l’appel du large » des navigateurs réside dans le fait qu’elle est motivée par le goût de l’effort physique mais aussi par celui du risque, l’épanouissement personnel et bien sûr le partage de l’aventure avec des compagnons de cordée.


On pourra rajouter une certaine propension à la contemplation, au plaisir de l’œil que suscite la beauté de la montagne. Cette montagne qui n’est pas l’infini mais qui le suggère, comme le déclarait le photographe Marcel Ichac, membre de l’expédition de l’Annapurna.


Parmi les quatorze sommets de plus «8 000 mètres » que compte la chaine de l’Himalaya, l’Everest n’est pas considéré comme le plus difficile ni même le plus dangereux comme peut l’être le «K2 » situé à la frontière sino-pakistanaise.

Cependant, ce n’est pas pour autant une « promenade de santé », car nécessitant de longues périodes de préparation, une logistique et des moyens financiers importants, une pratique de l’alpinisme confirmée sans oublier bien sûr le problème crucial et obsédant de l’oxygène qui est nécessaire pour réussir son ascension extrêmement difficile et qui continue de faire des victimes….


Parfois, c’est une infime partie du parcours qui peut vous faire réussir tel le « ressaut Hillary » cette paroi rocheuse de 12 mètres toute proche du sommet que l’alpiniste Néo-Zélandais parvint a « dompter » et qui le fit entrer dans l’Histoire en compagnie de son binôme Népalais…


Depuis, la conquête de l’Everest a pu se décliner de différentes façons : en solitaire, en courant, sans oxygène, avec une équipe entièrement féminine. Le premier Français à parvenir au sommet en 1978 fut un ministre de Giscard : Pierre Mazeaud, autant connu comme constitutionnaliste que comme alpiniste…


70 ans après, la conquête de l’Everest continue donc de fasciner et d’attirer des vocations car les « conquérants de l’inutile » se transmettent le flambeau de générations en générations, savourant le plaisir malgré la difficulté d'être des spectateurs privilégiés sur le "Toit du monde"….