LE PLAN FREYCINET ET LES CHEMINS DE FER SECONDAIRES
En 1878, les grandes lignes ferroviaires centrées sur Paris sont en service ou en construction (ainsi que quelques voies ferrées en province). C’est le moment d’étendre le réseau et de desservir des communes de moindre importance, souvent enclavées au sein d’une France encore très rurale. C’est alors qu’est adopté à l’Assemblée le plan Freycinet.
Qui est Charles de Freycinet ?
Né à Foix en 1828, c’est un ingénieur et homme politique, proche de Léon Gambetta et plusieurs fois nommé ministre. Entre 1877 et 1879, il obtient le portefeuille ministériel des travaux publics. Il sera même Président du conseil des ministres, puis ministre de la guerre au début de la 1ère guerre mondiale. Avant cela, déjà à ce poste, il modernisera fortement le matériel militaire.
Ministre des travaux publics, son nom est attaché aux plans de développement des chemins de fer et des voies fluviales (normalisation entre autres des écluses). Il soutient les réformes laïques et républicaines (plan Jules Ferry pour l’école, expulsion des prétendants au trône de France …) et est écarté du pouvoir à la suite du scandale de Panama. Côté sombre, il se montre anti dreyfusard.
Il décède en 1923, à 94 ans.
Le plan Freycinet
A la fin du XIXe siècle, les routes françaises sont encore en assez mauvais état, l’automobile n’existe pas encore (elle se développera lentement au début du siècle suivant), le cheval est encore roi pour les transports. Le chemin de fer parait être le meilleur moyen de révolutionner les transports des marchandises et des habitants, et ainsi de dynamiser le commerce et les échanges. Malgré la révolution industrielle, une bonne partie du territoire reste enclavée, et la IIIe république connait une succession de périodes fastes et de crises économiques. La desserte de Paris et l’établissement des grands axes ferroviaires sont maintenant bien avancés, il faut maintenant s’attaquer au reste de la France.
Le plan Freycinet, voté en 1878, prévoit la construction de 16 000 km de voies, dont 8 700 d’intérêt local, par les grandes compagnies ferroviaires et par l’Etat (qui a racheté des compagnies en difficultés, ce fut la naissance du « réseau Etat »). Ce projet était presque entièrement mené à bien en 1914. Le but était de relier toutes les préfectures, sous-préfectures et les chefs-lieux de canton importants.
Mais si certaines voies importantes furent construites à l’écartement normal, une majorité des voies secondaires bénéficièrent d’un écartement plus étroit (1 m), d’où une construction plus facile et moins coûteuse, le long des routes notamment. Ces voies étaient souvent de qualité moyenne voire médiocres, le matériel pas toujours fiable et source d’accidents, la charge autorisée et la vitesse très limitées. Les transports les plus importants étaient surtout constitués de marchandises dont les produits agricoles.
Le bilan de ce plan est plutôt positif, tant sur le plan du commerce, des échanges, de l’économie dans l’hexagone que de la mobilité citoyenne, mais aussi de la circulation des idées. Ce dernier point était un des buts de ce plan : amener plus de modernisme dans une France rurale assez sceptique (ou hostile) vis-à-vis de la République. L’abdication de Napoléon III était encore proche dans les esprits provinciaux plutôt conservateurs.
Parmi les reproches, on peut citer un repli de la France et son marché intérieur (après la défaite de 1870) ; en effet, la construction des voies nécessita des quantités immenses d’acier, qui s’écoulèrent sur ce marché intérieur au détriment d’un positionnement à l’exportation.
Malgré un bilan positif en bien des domaines, le développement progressif du transport routier (et la priorité qui lui fut accordée en France au XXe siècle, contrairement à d’autres pays comme l’Allemagne, la Suisse, l’Autriche …) sonna peu à peu le glas de ce transport révolutionnaire et démocratique bien qu’un peu folklorique.
Les lignes secondaires en Essonne
Etampes – Auneau embranchement
Inscrite dans le plan Freycinet, cette voie, à écartement normal, devait être une partie d’une radiale reliant Melun à Auneau, avec correspondance pour Chartres. Le projet était de relier au sud de Paris trois grands réseaux : PLM, Paris-Orléans et Etat.
Seule la partie d’Etampes à Auneau fut construite et opérationnelle. Elle fut inaugurée en 1893. Bien que prévue en double voie, elle ne connut qu’une voie unique, avec voie d’évitement à la gare de St Escobille. Le profil comportait une rampe assez importante entre St Hilaire et St Escobille, pour monter sur le plateau beauceron. Dans les gares, des femmes assuraient la vente des billets et l’enregistrement des bagages.
Le trafic était essentiellement destiné au transport de céréales, betteraves … mais deux à trois services quotidiens s’ouvraient au trafic voyageurs, à vitesse assez réduite (il fallait environ une heure pour parcourir les 33 km de la ligne). Celui-ci cessa en 1939, malgré les campagnes de protestation des habitants. Pendant près de 50 ans, la ligne permit l’acheminement des boues et déchets parisiens vers St Escobille, générant une insalubrité dont se plaignaient les habitants (rats, mouches, odeurs …). Cette ligne servit aussi en 1917 au passage de convois pour ravitailler les troupes américaines, depuis les ports de l’ouest. La ligne fut définitivement fermée en 1972, seule la section Etampes – St Hilaire connaissait encore à ce moment une activité.
Cette compagnie construisit et géra deux réseaux secondaires de Seine et Oise. Les voies étaient à écartement standard (1,435 m) pour pouvoir se raccorder aux tramways parisiens. Notre région était couverte par le « réseau sud ». Les différentes sections ouvrirent entre 1911 et 1913.
Les différentes lignes subirent bien des vicissitudes : l’exploitation cessa tout d’abord en 1916, faute de moyens techniques et financiers. Après la première guerre mondiale, la remise en service ne s’effectua qu’en 1921, sous l’égide de la Société des Transports en Commun de la Région Parisienne (entre temps, les rails servirent en partie à reconstruire des parties essentielles du réseau national, impactées par les destructions dues aux combats).
Le département de Seine et Oise racheta le réseau en 1927, puis l’exploitation fut confiée en 1933 à la Société Générale des Chemins de Fer Economiques. La plupart des lignes fermèrent entre 1937 et 1949 (nous y reviendrons dans le prochain chapitre). Les lignes survivantes eurent une grande utilité pendant la seconde guerre mondiale : elles étaient en effet les seuls moyens de transport pour la population locale ; elles étaient aussi utilisées par des Parisiens et citadins pour aller se ravitailler en nourriture dans les campagnes.
- Bouville – La Ferté Alais : 9 km, permettant une correspondance vers Paris, ouverte en 1921. Elle desservait les gares d’Orveau et de Longueville (D’huison Longueville). Elle ètait raccordée à la ligne Etampes – Corbeil à Bouville. Sa principale utilité était le transport de pavés de grès et de cresson (grande spécialité de D’Huison- Longueville).
- Etampes – Arpajon : 30 km, elle permettait une prolongation de l’Arpajonnais pour acheminer les produits maraîchers, le cresson notamment, vers Paris
La ligne passait par Morigny, Brières les Scellés, Boissy le sec, puis empruntait la vallée de la Renarde par Villeconin et Saint Sulpice de Favières. Le train, qui emmenait aussi des voyageurs (50 places), était connu localement sous le nom de « Tacot ». Il était, bien sûr, tracté par locomotive à vapeur, mais un autorail diésel apparut en 1926 … pour porter la vitesse à 40 km/h !
- Etampes – Maisse – Milly la forêt – Corbeil : 54 km, elle fut ouverte dès 1912.
Cette ligne irriguait tout le sud de notre actuel département, elle reliait par une grande boucle Etampes à Corbeil en 3 ou 4 heures. Elle permettait, par tronçons, le transport des produits agricoles et maraîchers vers Corbeil, Etampes ou la Ferté Alais (correspondance à Bouville) puis vers Paris. Elle était aussi empruntée par les voyageurs. Comme pour les autres lignes, le trafic voyageurs était assez faible, d’où une rentabilité insuffisante qui précipita sa fermeture après la seconde guerre mondiale.
Le tramway sud de Seine et Marne
Ce tramway, mis en service en 1899 (donc bien avant les lignes précédentes), reliait Melun à Barbizon, via Chailly en Bière (77). Un embranchement permettait de relier cette dernière gare à Milly la Forêt, assurant une correspondance entre Etampes et Melun.
Notre région était donc au centre d’un important réseau de trains locaux qui allait de Chartres à Melun en évitant Paris … Evidemment, les voyageurs ne devaient pas être pressés et auraient été tributaires sur ce trajet du peu de trains, rarement en correspondance, des incidents et avatars des lignes, de la lenteur des convois … Mais quelques personnes les empruntaient régulièrement (à partir de Milly, ou d’Etampes à la Ferté Alais, pour affaires ou rallier un lieu d’apprentissage). Mais l’essentiel du trafic restait dédié aux marchandises (produits agricoles et maraîchers, matériaux de construction …).
L’Arpajonnais
Ce chemin de fer, qui reliait Arpajon à Paris, est sans doute le plus connu des anciens réseaux essonniens.
Arpajon était le centre d'une région maraîchère de grande importance. Des quantités de marchandises, veaux, farine, volailles, beurre, œufs, légumes, fruits étaient destinées à l'approvisionnement de Paris. Les trains de denrées maraîchères (principale activité du chemin de fer) fonctionnaient d’une heure à quatre heures du matin, pour alimenter les halles centrales de Paris. Auparavant, ces mêmes denrées étaient acheminées la nuit vers Paris sur des charrettes péniblement tractées par des chevaux puis par voiture par les routes ordinaires ce qui constituait, à l'époque, de longs et couteux trajets.
C'est pourquoi les communes de la région sud de Paris demandèrent une liaison de chemin de fer directe vers Paris. Le chemin de fer de Paris à Arpajon qui fut en service de 1894 à 1936.
La voie ferrée suivait la route nationale 20 sur la plus grande partie de son trajet mais s'en écartait à plusieurs reprises, notamment pour desservir Wissous, Morangis, Saulx-les-Chartreux et Leuville.
La mise en service s'effectue selon le calendrier suivant:
Le terminus voyageurs se situait au début place de l’Odéon, mais les trains de marchandises continuaient jusqu’aux Halles, à Châtelet.
À l'origine, les ateliers de la compagnie furent implantés à Chilly-Mazarin où ils étaient raccordés avec la ligne de Grande Ceinture.
En février 1895, la ville de Paris interdit la traction vapeur à l'intérieur de la ville durant la journée. Elle est remplacée par la traction à air comprimé.
En 1901, la ligne est électrifiée de Paris à Antony et la traction électrique à accumulateurs remplace les locomotives à air comprimé dans Paris.
Le 1er juin 1910, le service des voyageurs dans Paris entre l'Odéon et la porte d'Orléans est abandonné, limitant les trains de voyageurs à cette porte.
En 1911, l'Arpajonnais est connecté aux Chemins de fer de grande banlieue (CGB) qui relient Étampes à Arpajon, permettant le transfert des productions de légumes du sud de la Seine-et-Oise vers les Halles.
En 1922, la Compagnie du chemin de fer sur route de Paris à Arpajon, alors en difficultés financières comme l'ensemble des réseaux secondaires et urbains, est rachetée par le département de la Seine et par celui de la Seine-et-Oise qui en confient l'exploitation à la Société des transports en commun de la région parisienne (STCRP).
Le trafic de marchandises eut toujours un rôle majeur pour l'Arpajonnais et les trains de desserte des Halles de Paris fonctionnèrent de 1894 à 1936. Au-delà de Porte d'Orléans, terminus du Paris - Arpajon, les trains empruntaient les voies de la ligne TG de la CGO jusqu'à Châtelet, puis les voies implantées rue des Halles, puis, plus tard, le boulevard de Sébastopol et la rue Réaumur.
En 1926, on transporte vers les Halles, 15 000 tonnes de légumes. Jusqu'à 42 wagons arrivent par nuit. En 1929, le tonnage atteint 19 300 tonnes ; en 1927, 24 400 tonnes, dont 411 tonnes de fraises (spécialité, notamment, de Marcoussis). Une part du trafic marchandises est aussi constituée des pavés de grès extraits des carrières de Seine-et-Oise, servant à paver les rues parisiennes.
Mais la circulation croissante dans Paris empêche de plus en plus ce type de transport, concurrencé par le ramassage par camions. Le trafic marchandises est autorisé uniquement la nuit entre 1 h et 4 h du matin jusqu'aux Halles. Le terminus voyageurs se situant à l'Odéon. Au retour, du fumier et des gadoues reviennent de la capitale pour servir d'engrais aux exploitants, ce qui provoque l'été, des « désagréments » aux riverains des gares.
Dans la côte de Montlhéry, lorsque le train était plein, il fallait faire descendre des voyageurs, qui continuaient à pied jusqu'au sommet pour remonter ensuite dans les voitures.
Le matériel utilisé était d’une fiabilité limitée, et l’implantation en bord de route généra un nombre assez conséquent d’accidents.
Voici quelques exemples symptomatiques :
En août 1909, le dernier train de voyageurs rentrant de Montlhéry dut stopper à hauteur de Longjumeau car un cheval tombé et empêtré dans ses harnais obstruait la voie. L'arrêt se prolongeait quand arriva le train de denrées maraîchères qui alimentait les Halles à une heure du matin. Le mécanicien de ce train n'ayant pas compris les signaux du chef de train bloqué, il s'ensuivit un tamponnement dont le choc entraina la mort de douze personnes ; quarante autres durent être soignées à l'hôpital de Longjumeau.
En juillet 1927, une collision eut lieu à Linas entre un train à vapeur et une automotrice stationnée à Montlhéry dont les freins avaient lâché. Il y eut dix blessés dont deux atteints grièvement.
En octobre 1932, un train de voyageurs en provenance de Paris fut percuté à Longjumeau par un camion transportant 4 000 litres d'essence. La collision entraina un incendie qui s'étendit aux bâtiments environnants. Le bilan fut d'un mort, le conducteur du camion, et de deux blessés.
L'abandon des lignes de tramway desservant le centre de Paris entraînera la suppression le 31 décembre 1933 du service marchandise vers les Halles. Le service s’arrêta sur toute la ligne en 1936.
Les chemins de fer Decauville
Paul Decauville, né à Evry-Petit-Bourg en 1846,fut maire de cette commune et sénateur de Seine et Oise. Engagé pendant la guerre de 1870 dans l’artillerie, il se passionna pour la mécanique et devint un inventeur de renom. Il mit au point en 1876 un chemin de fer léger, sur des voies étroites (40 à 60 cm) portés par des traverses métalliques, qualifié de portatif, sur lesquelles circulaient des locomotives et des wagons de petite taille.
Ce système, facile à installer et démonter, permettait une mise en place rapide pour desservir, parfois provisoirement, des champs ou des carrières. Des petites communes non atteintes par les chemins de fer classiques pouvaient aussi être desservies. Des voitures de passagers pouvaient être ajoutées.
Doué d’un bon sens du commerce, Decauville implanta d’importantes usines à Evry puis à Corbeil, employant jusqu’à 1 000 employés. Il mit en place un management plutôt social, construisant des logements, commerces et services pour ses employés.
Ses chemins de fer assurèrent sa fortune ; ile matériel s’exporta et la société Decauville diversifia ses activités, de l’outillage à l’automobile, sans oublier le ferroviaire (locomotives, voies de 1 m d’écartement …). La société existe toujours. Un musée Decauville s’est ouvert à Evry, et des restes de voies sont encore parfois visibles çà et là. Un wagon et un bout de voie, ainsi que des panneaux explicatifs sont installés à Villeneuve sur Auvers, dans une carrière.
La fin de l’âge d’or.
Comme nous le verrons dans le prochain chapitre, ce maillage important du département, bien que très pratique, s’avéra toujours assez peu rentable, faillites, reprises et subventions se succédèrent pendant toute la fin du XIXe siècle et le début du XXe. En 1914, le plan Freycinet était presque entièrement achevé, mais après la première guerre mondiale, les lignes commencèrent à fermer : coût de revient plus important que la rentabilité, problèmes d’entretien dus entre autres à l’utilisation des rails et du matériel alors produits pour reconstruire les lignes principales de l’Est et du Nord détruites lors des combats … et surtout fort développement des transports routiers, plus souples sur le plan logistique, moins coûteux sur un réseau routier beaucoup plus développé et mieux entretenu en 1930 qu’il ne l’était en 1880.
Quelques lignes survivront encore quelques années, souvenirs d’un mode de transport qui permit le désenclavement des zones rurales (pourtant assez proches de Paris) et la création de nombreux emplois.
Tout est alors prêt pour l’avènement d’une autre époque, marquée par l’électrification des grandes lignes, l’abandon des voies non rentables et … la création de la SNCF.
Ceci dans le prochain chapitre.
8. Déc., 2021
17. Mars, 2022
6. Oct., 2022
LES CHEMINS DE FER EN ESSONNE : DE NOS JOURS (ET APRES)