PANORAMA 1973

Prologue

Philippe Dupont

11 ans en 1973

La France de 1973 comptait 53 millions d’habitants mais ce n’était pas le pays le plus peuplé d’Europe occidentale puisqu’elle se situait derrière l’Allemagne de l’Ouest et l’Italie, deux pays fondateurs comme elle du Marché Commun mais également derrière le Royaume-Uni qui venait de l’intégrer le 1er janvier, en compagnie du Danemark et de l’Irlande…

Mais pour beaucoup, cette année-là est souvent considérée comme celle qui a marqué la fin des « Trente glorieuses », ce terme employé par l’économiste Jean Fourastié pour désigner les « trente années de prospérité économique » qui ont touché la France ainsi que ses voisins européens et qui ne vont pas tarder à s’essouffler avec l’arrivée du premier choc pétrolier de l’automne …

Le Président de la République était alors Georges Pompidou qui avait succédé au Général de Gaulle en 1969 mais qui n'allait pas tarder pas à murmurer que « nous étions entrés dans l’ère des incertitudes », il faisait allusion à la fin brutale de l’insolente croissance à 6 % qu’affichait alors notre cher et vieux pays et qui allait voir le chômage s’envoler, passant de 450 000 en 1973 à plus d’un Million un an après !


Mais d’autres incertitudes concernant cette fois-ci l’état de santé du chef de l’Etat furent  soulevées par plusieurs journaux et la rumeur publique s’amplifia car celui-ci apparaissait le visage bouffi et semblait souffrir le martyre lors des déplacements internationaux, déléguant de plus en plus la gestion des « affaires intérieures » à son fidèle Secrétaire général, Edouard Balladur.

Son Premier Ministre s'appelait alors Pierre Messmer, ancien ministre de la Défense du Général de Gaulle qui avait  succédé à Jacques Chaban-Delmas en 1972. Exit « la Nouvelle Société » jugée trop progressiste et irritant quelque peu l’Elysée pour  annoncer un retour à un « conservatisme bon teint ».


La majorité allait remporter toutefois les élections législatives de mars mais avec un recul notable par rapport au « raz de marée » de 1968, obtenant toutefois 311 sièges et 47 % des suffrages exprimés tandis que la Gauche connaissait une nette progression, surtout le PS de François Mitterrand qui obtint plus de sièges que son « allié » communiste : une première sous la Vème République.

Malgré les prémices de la « Crise », les Français étaient de plus en plus conquis par la « société de consommation » et le « tout bagnole ». Tandis que le petit commerce tirait de plus en plus la langue malgré la « Loi Royer » qui cherchait à les préserver  des « grandes surfaces » et autres « centres commerciaux » qui se développaient de façon vertigineuse à travers le pays.


La Région Parisienne, que l’on n’appellait pas encore l’Ile de France continuait sa réorganisation territoriale entamée au début des années 60, voyant Paris se dépeupler au profit de sa périphérie qui connaissait alors une croissance démographique vertigineuse, par exemple un département comme l’Essonne avait pratiquement doublé sa population, passant de 470 000 habitants en 1962 à près de 900 000 en 1973 !

On inaugura le boulevard périphérique parisien (qui n'allait pas tarder à être rapidement saturé) après plus de quinze ans de travaux mais rapidement on envisagea de construire un « super-périphérique » à 30 kms de centre de Paris (la future « Francilienne »). 

A Paris, la tour Eiffel restait le plus haut édifice avec 310 mètres mais devrait à présent être en concurrence  avec la très contestée Tour Montparnasse qui mesurait 210 mètres et comptait 59 étages, aux abords de la gare éponyme.

Le Quartier de la Défense érigé au début des années 60 continuait de faire « pousser » ses tours où étaient abrités de nombreux sièges sociaux. On voyageait en RER d’un coin de Paris à un autre en attendant au cours de la décennie suivante de l’élargir à la Grande Couronne.


L’Aéroport international de Roissy en France dont les travaux avaient commencé en 1964 fut mis en service à partir de l’année 1974 prêt à accueillir dans le futur plus de 10 millions de passagers … par an.


En France, on n’avait pas de pétrole mais on avait des autoroutes : alors que l’Autoroute du Sud et du Nord étaient  achevées, l’autoroute de Normandie, la plus ancienne de France continuait son prolongement vers Caen et le littoral et celui du sud-ouest, dont le dessein était de relier le Périphérique Parisien à la Capitale de l’Aquitaine,  se construisait  à « coups de sections et de bretelles d’autoroute ».

La bataille du rail changeait de stratégie : alors que l’on fermait les lignes secondaires jugées peu rentables, on travaillait sur la conception de trains à grande vitesse, inspirés de ceux qui circulaient au Japon et qui permettrait de relier en un temps fortement raccourci la Capitale à la plupart des grandes métropoles des « régions-programmes » récemment mises en service. A Marseille et à Lyon, on construisait des lignes de métros souterrains comme à Paris.


Le pays avait commencé une inquiétante désindustrialisation entamée depuis la fin des années 50 et ce constat était notable dans plusieurs régions françaises telle le Nord et l’Est du pays. En une décennie, un grand nombre d’emplois manufacturés allaient être transférés vers d’autres pays du globe, faisant apparaitre d’importantes friches industrielles sur des sites naguère prospères et où la reconversion s’avèrera parfois compliquée.


La France de 1973 s’urbanisait de plus en plus même si l’exode rural s'avérait moins intense que dans les années 50. Afin de pallier à la crise du logement qui fut très forte dans la décennie précédente, on avait construit de nombreux logements au cœur de « Grands ensembles » comme à Sarcelles, Aulnay sous-bois, Massy-Antony, Créteil, Vénissieux, Nancy, Toulouse le Mirail, etc… dont on commençait déjà à sentir les premiers méfaits.


Les « bidonvilles » qui abritaient en grande partie une population immigrée (Maghreb, Portugal) travaillant sur les grands chantiers étaient en voie de destruction comme ce fut le cas à Nanterre ou à Massy.

Mais c’était aussi l’époque des « grandes copropriétés » réservées à des classes moyennes supérieures comme celles de Grigny 2 ou de Nogent sur Oise qui voyaient le jour avant de connaitre ultérieurement une « paupérisation » alarmante.


C’étant le temps de l’essor de l’automobile, même s’il y en avait trois fois moins qu’aujourd’hui mais on déplorait alors plus de 18 000 morts sur la route !

La télévision (en couleurs) connaissait une lente progression à contrario de la plupart des biens d’équipements ménagers. On mettait toujours plus d’un an pour obtenir le téléphone, voire plus dans certaines régions...


La moitié des Français partait en vacances, dont les trois quarts d’entre eux restaient dans l’Hexagone pratiquant le camping, les villages vacances (VVF, VVT) ou séjournant de la famille tandis qu’un petit quart voguait  à la conquête de l’Etranger, notamment à destination de l’Espagne, pays ouvert au Tourisme de Masse toujours dirigé par un dictateur de plus en plus sénile, le Général Franco, au pouvoir depuis trois décennies.


C’était la glorieuse époque des plans quinquennaux, des grands monopoles (EDF, SNCF, PTT, Entreprises privées clientes de l’Etat), on travaillait en moyenne 43 heures par semaine et on prenait quatre semaines de congés payés depuis 1969.


La France ne connaissait pas encore Internet qui était alors à l’état d’embryon sur la Côte Ouest des Etats-Unis (projet ARPANET) mais le 15 janvier 1973, le premier micro-ordinateur de l’histoire était commercialisé en France, œuvre des ingénieurs Truong et Gernelle. Il ne comportait ni clavier ni écran et avait pour nom « Micral N » restant très éloigné du PC d’aujourd’hui et qui ne connaitra (alors) aucun succès commercial.


On découvrait la troisième chaine de l’ORTF appelée à devenir la chaine des « Régions » que l’on pouvait capter (sur une partie réduite du territoire) en tournant le bouton de son poste de télévision.

On écoutait la radio nationale (France Inter, Culture, Musique et FIP) et les postes périphériques (Europe N°1, RTL, RMC), la France jouait au Tiercé, écoutait -le « Big Bazar » de Michel Fugain et certains aimaient bien se bastonner dans les bals populaires du samedi soir quand d'autres pantouflaient  en regardant les émissions de Maritie et Gilbert Carpentier à la télé…


La jeunesse aux tifs de plus en plus longs et portant des pantalons "pattes d’éléphant" fréquentaient les « Mille Clubs » et autres « MJC », plus de 25 % d’entre eux passaient le bac et on comptait un peu de 800 000 étudiants dont certains allaient manifester contre la « Loi Debré » qui voulait abroger le sursis militaire…


L’avortement était toujours illégal et la majorité restait à 21 ans. On aimait déjà faire des grèves et des manifs, d’ailleurs plus dans le secteur privé que public, certains prônaient « l’autogestion » comme chez LIP, d’autres vantaient les vertus du « Maoisme » tandis que l’action humanitaire se développait de plus en plus, car des « French Doctors » allaient apporter une aide médicale aux habitants des contrées en guerre ou souffrant de famine, notamment en Afrique en Asie…

On prenait sa retraite à 65 ans (sauf si on était affilié à des régimes spéciaux : Chemins de fer, Mines, Gaziers, etc…) mais on vivait beaucoup moins longtemps qu’aujourd’hui.

 

Bref, pour schématiser, une photographie de la France d’il y a cinquante ans…