Manouchian au Panthéon ?


Avril 2022

Emmanuel Macron, alors Président-Candidat confirme sur les ondes de la matinale de France Inter qu’il souhaite faire entrer au Panthéon, Missak Manouchian qu’il considère comme l’ une des grandes figures de la Résistance et que ce transfert pourrait avoir le lieu le 24 février 2024, soit quatre-vingts ans après son exécution au Mont Valérien, en compagnie de ses compagnons d’armes…

L'Affiche Rouge. Mémorial Manouchian

Evry-Courcouronnes



Missak ou Michel Manouchian,né en 1906 dans le sud de l’actuelle Turquie (que l’on appelait alors l’Empire Ottoman), aura d’abord été une victime des accidents de l’histoire agitée de sa région natale: enfant, il assiste au Génocide Arménien perpétué par l’armée dirigée par les Jeunes Turcs et qui fera plus d’un million de victimes entre 1915 et 1916, obligeant ceux qui échapperont au massacre à s’exiler vers d’autres pays d’Europe, d’Asie et des Amériques.

Le Petit Missak après moultes péripéties se retrouvera dans un orphelinat au Liban, alors sous mandat français. Scolarisé, il apprend le métier de menuisier et découvre la littérature et la poésie qui deviendront des passions.


Il arrive en France en 1925 et ne quittera plus ce pays d’adoption jusqu’à sa mort. Devenu ouvrier tourneur, il est très actif dans les associations d’entraide aux Arméniens jusqu’ à ce que la politique ne le rattrape et notamment le combat contre l’antifascisme, dont les journées du 6 février 1934 quand la République fut sur le point d’être renversée par des ligues d’extrême-droite.


Il rencontre alors celle qui deviendra son épouse, Mélinée (1913-89) orpheline et rescapé comme lui du Génocide de 1915-16. Le couple adhère au Parti Communiste en 1935 et Missak collabore au journal «Zangou» organe de presse des réfugiés arméniens et proche de l’organisation «Main d’œuvre Immigrée» (M.O.I) sous la tutelle de la CGTU, issue d’une scission avec la CGT car partisane d’une Internationale Rouge…


La M.O.I compte un grand nombre de réfugiés Espagnols, de juifs persécutés dans leur pays et devenu des apatrides venus de toute l’Europe mais qui ont décidé de prendre les armes pour combattre le Nazisme. Parmi eux, citons le jeuneHenri Krasucki, originaire de Pologne et futur Secrétaire Général de la CGT…


C’est après la rupture du Pacte Germano-Soviétique en 1941 que Manouchian rejoint la Résistance, il ne va pas tarder à rejoindre les Francs-Tireurs Partisans-MOI, dont il devient Commissaire Politique en 1943, succédant àBoris Holban, immigré Roumain (Mort à Etampes en 1984) qui avait été écarté de l’organisation secrète car il préconisait une moins grosse exposition des actions de ses agents dont certains commençaient à être «filés» par la Police Française, dont Manouchian….


Le couple Manouchian vit donc dans la clandestinité mais peut compter sur des amis issus de la diaspora arménienne dont la famille Aznavourian qui lui a trouvé un logement dans Paris. En effet, les parents du célèbre chanteur participeront activement à la Résistance, en employant mille et une ruses pour effectuer des transports d’armes…

16 novembre 1943




Traqué depuis déjà quelques temps, Missak Manouchian doit redoubler de vigilance lorsqu’il prend le train à la gare de Lyon à destination d’Evry-Petit-Bourg (Seine et Oise, aujourd’hui Essonne) afin de se rendre à son rendez-vous hebdomadaire avec Joseph Epstein, alias «Commandant Gilles».


Ce dernier est le Commandant des FTP de la Région Parisienne, né en 1911 dans une famille juive aisée de Pologne, mais opposant virulent au régime en place, il s’exile de facto en France dès le début des années 30 afin d’achever ses études de droit. Communiste convaincu, il rejoint les Brigades internationales pendant la Guerre d’Espagne en 1936 puis la résistance française dès 1941…


Ce rendez-vous va être fatal aux deux hommes car Manouchian est en fait «suivi» par Commissaire Gaston Barrachin (qui sera condamné pour faits aggravants de collaboration et fusillé en 1945), et quatre de ses inspecteurs, membres de la Brigade Spéciale, cette entité de la Police Française chargée de traquer les «ennemis de l’intérieur» (sic).

Arrivé sur place, Manouchian s’aperçoit de la filature et ne pourra jamais rejoindre son interlocuteur qui comme lui tentent de prendre la fuite par les bords de Seine (ne pouvant franchir le pont d’Evry à Soisy qui a été détruit).

Epstein est rapidement ceinturé tandis que Manouchian est appréhendé par deux inspecteurs, ayant refusé au préalable d’utiliser son arme, un pistolet 6.35.


Le même jour, d’autres membres de l’organisation secrète seront arrêtés puis exécutés , dontMarcel Rayman, Joseph Svec et Olga Bancic. Ainsi près de 70 arrestations auront été opérées par la 2èmeBrigade Spéciale.


Mélinée échappera quant à elle, à la rafle grâce à l’aide des Aznavourian qui lui procureront une «planque»….


L’organisation certes grandement décimée ne disparaitra pour autant. Incarcéré à Fresnes, Manouchian et ses compagnons d’infortune seront fusillés au Mont-Valérien le 21 février 1944, après avoir refuser d’avoir les yeux bandés sur le peloton d’exécution….


L'Affiche rouge



Les autorités d’occupation publient alors une série d’affiches qui seront placardés à travers le pays avec ce titre provocateur: «Des libérateurs? la libération par l’armée du crime» . Il s’agit bien sûr de la fameuse «Affiche Rouge» avec le portrait de 10 condamnés des FTP-MOI dont Manouchian…


Elles sont censées provoquer l’adhésion d’une partie de l’opinion qui assimilait la résistance au terrorisme, mais c’est l’effet contraire qui se produira, générant un mouvement de solidarité …La roue a tourné et la libération du pays est en marche….


La légende de Manouchian est née le jour de son exécution et ce poète autodidacte sera célébrée par un autre poète, Louis Aragon(compagnon de route du Parti Communiste) qui publiera un texte aussi fort que poignant pour rendre hommage au combat de ces guerriers de l’armée des ombres, «L’Affiche rouge» que mettra en musique avec brio un autre poète Léo Ferré dont nous rappelons les paroles:



Vous n'avez réclamé ni gloire ni les larmes
Ni l'orgue ni la prière aux agonisants
Onze ans déjà que cela passe vite onze ans
Vous vous étiez servis simplement de vos armes
La mort n'éblouit pas les yeux des Partisans

Vous aviez vos portraits sur les murs de nos villes
Noirs de barbe et de nuit hirsutes menaçants
L'affiche qui semblait une tache de sang
Parce qu'à prononcer vos noms sont difficiles
Y cherchait un effet de peur sur les passants

Nul ne semblait vous voir Français de préférence
Les gens allaient sans yeux pour vous le jour durant
Mais à l'heure du couvre-feu des doigts errants
Avaient écrit sous vos photos MORTS POUR LA FRANCE

Et les mornes matins en étaient différents
Tout avait la couleur uniforme du givre
À la fin février pour vos derniers moments
Et c'est alors que l'un de vous dit calmement
Bonheur à tous Bonheur à ceux qui vont survivre
Je meurs sans haine en moi pour le peuple allemand

Adieu la peine et le plaisir Adieu les roses
Adieu la vie adieu la lumière et le vent
Marie-toi sois heureuse et pense à moi souvent
Toi qui vas demeurer dans la beauté des choses
Quand tout sera fini plus tard en Erivan

Un grand soleil d'hiver éclaire la colline
Que la nature est belle et que le coeur me fend
La justice viendra sur nos pas triomphants
Ma Mélinée ô mon amour mon orpheline
Et je te dis de vivre et d'avoir un enfant

Ils étaient vingt et trois quand les fusils fleurirent
Vingt et trois qui donnaient le coeur avant le temps
Vingt et trois étrangers et nos frères pourtant
Vingt et trois amoureux de vivre à en mourir
Vingt et trois qui criaient la France en s'abattant.

Le souvenir demeure...




L’histoire ne s’arrête pas là: En 1976, un film «l’Affiche Rouge» réalisé par Franck Cassenti et interprété par Pierre Clémenti sort sur les écrans mais c’est en 1985 que le Groupe Manouchian revient hanter les mémoires avec la sortie d’un documentaire intitulée «L’armée du Crime ou des terroristes à la retraite» réalisé par Mosco Boucault mais qui provoquera un certain nombre de polémiques, à commencer par celle lancée par Mélinée Manouchian.


En effet, la veuve de Missak y accuse ouvertement le Parti Communiste à l'époque dirigé clandestinement parJacques Duclos ou encore Boris Holban d’être à l’origine de l’arrestation de son mari et de ses compagnons, ayant envoyé en première ligne ces combattants «apatrides» malgré le risque encouru afin d’en préserver d’autres, plus représentatifs de l’image du «patriote Communiste Français», d’autres survivants de la rafle de novembre adhèrent à cette thèse quand d’autres accusent un espion soviétique proche de Moscou, d’avoir «donné» le groupe..


Un comité d’anciens résistants, présidé par Claude Bourdet et les époux Aubrac contredisent ces accusations et ne sont pas favorables au passage télévisé du documentaire deMoscoqu’ils jugent diffamatoire…


Finalement le film sort en salle et connait un franc succès, ce qui incitera de facto la direction d’Antenne 2 de projeter le documentaire dans le cadre de la mythique émission «les Dossiers de l’Ecran» en juillet de cette même année 1985.


L’émission d’Armand Jammot, présenté par Alain Jérôme connait un gros succès d’audience, y compris le débat qui s’annoncera tumultueux mais sans qu’aucune vérité ne soit finalement révélée, laissant plâner un gros point d’interrogation sur une des périodes plus sombres du XXème siècle....






L'Inauguration



En novembre 2007, le Député-Maire d’Evry, Manuel Valls inaugure dans la partie ancienne de sa commune, le mémorial Manouchian sur les lieux même de la tragédie du 16 novembre 1943, à proximité de la Gare et des bords de Seine.


Dans le froid automnal, le futur Premier Ministre rend un hommage vibrant à ces «héros de l’ombre» issus d’autres pays d’Europe mais qui avaient choisi de dire «non» à l’oppresseur et de servir la France jusqu’à faire le sacrifice de leurs vies…


Le mémorial d’Evry n’est pas le seul a avoir été érigé en France, à Paris, à Valence (Drôme) ou encore Arnouville (Val d’Oise), d’autres lieux de mémoires ont fleuri à travers l’Hexagone. D’autres adaptations cinématographiques comme «l’Armée du Crime» (2009) de Robert Guédiguian avec Simon Abkarian ont également été projetées dans les salles obscures…


Un comité de soutien à l’entrée de Manouchian au Panthéon s’est créé et a même été reçu à l’Elysée par Emmanuel au printemps dernier. Présidé par le maire de Valence, Nicolas Daragon, épaulé de nombreuses personnalités dont d’éminents historiens spécialistes de l’Occupation, tels Pascal Ory ou Denis Peschanski ainsi que de nombreuses autres acteurs de la vie publique, politique et sociale, ce comité mémoriel ne cesse de croître avec l’assentiment du Président de la République qui a dit que cette initiative avait vraiment du sens…




A suivre…


Talleyrand

Dans le sens du vent ou de l'Histoire ?




Indéniablement, il mérite une place de premier ordre dans le «Dictionnaire des Girouettes», cet ouvrage politico-satirique publié une première fois en 1815 et réédité maintes fois depuis et qui recense les meilleurs opportunistes ou autres "retourneurs de veste" de tout genre qui ont su marquer l’histoire.


Comme le précise l’adage: "Il n’a que les imbéciles qui ne changent jamais d’avis".

Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord est certainement passé à la postérité pour cela, mais ce serait fort réducteur de s’en tenir à cette seule réputation aiguisée au gré d’une Histoire souvent balayée par des «vents contraires»…


Né le 2 février 1754 à Paris, dans une famille issue de la Haute Noblesse, le petit Charles-Maurice commence sa longue existence en héritant d’un Pied-Bot, cette anomalie congénitale qui l' empechera d'embrasser la carrière des armes, sorte de "voie royale" pour tout aristocrate qui se respecte et à laquelle ses parents l’avaient destinée...


Mais dans l’Aristocratie, quand on est pas soldat, on devient ecclésiastique: l’occasion est toute trouvée pour succéder à son oncle, Archevêque de Reims et à la tête d’une fortune personnelle solide…


Il devient Prêtre en 1779 puis Evêque d’Autun, au sud de la Bourgogne. Cependant, le «souffle léger de l’Esprit Saint» ne le hantant que très partiellement, il effectue son premier revirement en quittant le clergé pour embrasser une vie laïque. Il va trouver sa ou plutôt ses voies: celles de la Diplomatie et bien sûr de la Politique…


«Pour durer, mieux vaut aller dans le sens du vent» pourra être sa devise jusqu’à son lit de mort, d’où sa réputation d’avoir servi avec brio et sans aucune vergogne tous les régimes qui se succéderont entre la fin du XVIIIe et un bon tiers du XIXème siècle.


Son palmarès force l’admiration: Député des Etats-Généraux sous l’ancien Régime, Président de l’Assemblée nationale sous la Révolution, Ministre sous le Directoire, le Consulat puis le Premier Empire. Il appartiendra au gouvernent provisoire après la Chute de Napoléon en 1814 puis redevient ministre sous la Restauration puis finira sa carrière comme Ambassadeur sous la monarchie de Juillet en 1830 !


Brillant causeur, Homme d’esprit, amoureux des plaisirs et du beau sexe, le prince Charles Maurice de Talleyrand-Périgord incarne l'art de vivre aristocratique au siècle des Lumières. Mais il apparait également comme un personnage cynique et corrompu, doué d'une intelligence supérieure et certains observateurs n’hésiteront pas à dire qu’il fut aussi le meilleur diplomate que la France ait connu...


D’autres seront tentés de dire qu’il a trahi tous les régimes qu'il a servis, mais jamais les intérêts supérieurs de l'État. Ah, l’art de la Nuance…

Concernant, cet opportunisme hors norme, le même Talleyrand, surnommé par ses détracteurs le «Diable boiteux» aurait répondu à Louis XVIII qui s’étonnait de le voir survivre à tous les régimes, la phrase suivante:


«Mon Dieu, Sire, je n'ai vraiment rien fait pour cela, c'est quelque chose d'inexplicable que j'ai en moi et qui porte malheur aux gouvernements qui me négligent.»


En 1800, Bonaparte avec lequel il s’est lié et qu’il passera sa vie à trahir comme les autres, l’incita à acheter le Château de Valençay (Indre) et son vaste domaine, un des plus grands de France à l’époque, situé entre Châteauroux et Argenton sur Creuse… Il y passera de nombreux moments jusqu'à sa mort survenue le 17 mai 1838 et finira par être inhumé dans une Chapelle, situé non loin du Château, en plein centre-ville de ce village Berrichon.

Statue de Talleyrand

Valençay  (Indre)